23 octobre

UN ARRET « CASSTATROPHIQUE »…

Une certaine presse a cru bon d’ironiser sur le désaveu, pour la Chancellerie, que constitue l’arrêt rendu le 20 octobre dernier par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation, par lequel la Cour, jugeant « plus sévère » l’abaissement du seuil d’ « aménagement » des peines d’emprisonnement de deux ans à un an, décide qu’il faut, pour l’application dans le temps de cette (heureuse) disposition, se référer à la seule date des faits commis ; ce qui a pour conséquence de différer l’application effective de la réforme pour n’y soumettre que ceux qui auront été condamnés pour des faits commis après son entrée en vigueur, et, continuer –même pour longtemps-, à faire bénéficier du régime plus favorable ceux condamnés pour des infractions commises avant cette date, qu’ils soient ou non ex-Premiers ministres…

Au-delà de l’espèce, cet arrêt entend manifestement poser un principe pour mettre fin à des controverses doctrinales et des errements jurisprudentiels.

A cet égard, il est admis de nos jours, pour déterminer le moment d'application dans le temps d’une loi pénale, qu’il faut distinguer les lois de fond, soit, celles d'incrimination et de sanction (pour lesquelles c’est la date des faits qui commande la solution, avec –un bonheur n’arrivant jamais seul-, rétroaction de la loi la plus douce), et, les lois de forme et de procédure (qui sont d’application immédiate aux situations non encore définitivement constituées sous l'empire de la loi précédente).

Or, dans ce schéma, parfaitement logique, le code pénal, avec son article 112-2, 3°, a introduit un véritable « cluster » juridique, avec un « virus » qui l’altère radicalement quand il s’agit des textes d’exécution et d’application des peines ; il dispose en effet que ces derniers sont d’application immédiate, sauf… s’ils « auraient pour résultat de rendre plus sévères les peines prononcées par la décision de condamnation » -auquel cas, ils ne sont applicables qu’aux faits commis postérieurement à leur entrée en vigueur.

C’est cette dernière disposition qu’invoque la Cour, en refusant, à cette occasion, d’apprécier le caractère plus sévère ou plus doux de la loi dans sa globalité, s’en tenant à une démarche analytique pour apprécier isolément la disposition en cause ; en même temps, elle abandonne sa jurisprudence précédente, qui distinguait selon que les mesures en cause étaient prononcées par la juridiction de jugement (texte de fond) ou par la juridiction de l’application des peines, en alignant toutes les mesures sur le régime particulier des lois d’exécution des peines.

Ce faisant, elle consacre, dans les pires conditions, le dévoiement de notre système « pénal ».

Certes, la matière de l’exécution des peines, avec l’évolution contemporaine qui, au mépris des principes fondamentaux du droit, et sans l’excuse d’avoir montré son efficacité dans la lutte contre l’explosion de la criminalité, a rendu les sanctions « plastiques », fondantes », évanescentes », n’est pas sans ambiguïté, écartelée entre fond et forme.

Il n'est pas indifférent, en effet, pour un condamné, d'avoir une vocation plus ou moins restreinte, selon les fluctuations de la politique pénale –et, elles ne manquent pas…-, à bénéficier des mesures qui vont permettre d'abréger sa peine (réductions, libération conditionnelle -avec cette plaisante fiction de "l'exécution d'une peine de prison en milieu ouvert", qui fait fi de la logique formelle aristotélicienne...), en moduler -voire, complètement dénaturer-, sous couleur d' « aménagement », le contenu (condamné à de la prison, bénéficier, d'un trait de plume d'un J.A.P., d'une mesure de substitution évitant ce qui en fait pourtant l'essence, soit, l'incarcération –et même, singulière coquecigrue, voir la juridiction prononcer elle-même une « peine aménagée »...) etc.

Or, ces mesures, en elles-mêmes sont censées être complètement détachées de l'appréciation de la gravité, objective et subjective, de l'infraction –cela, c'est l'objet de la sanction nominale prononcée par la juridiction de jugement, après avoir pesé tous les éléments du dossier, circonstances et personnalité comprises-, mais, dans la réalité, il est bien certain qu’elles affectent la portée concrète et effective de cette sanction : pour le même quantum théorique de peine prononcée, ce qui sera en définitive subi peut, en pratique, varier considérablement.

Indépendamment des réflexions que peut appeler un système « pénal » aussi baroque -où l'on prononce des peines pour ne pas les appliquer, et où tout est fait pour en évacuer la dimension essentielle d'évaluation de la gravité d'un acte-, fruit des aberrations d'un certain modèle anti-pénal malheureusement encore dominant en dépit de son échec patent, l’enjeu, à travers cette question de l’application dans le temps, c’était de savoir s’il fallait « en rajouter » sur cette règle posée par le « nouveau code pénal » -très fâcheuse, tant dans son fondement logique que dans sa portée pratique, puisqu’elle aboutit purement et simplement à aligner ce type de lois sur le régime des textes de fond, d’incrimination et de sanction.

C'est là un contre-sens total sur la nature et l'objet des lois qui régissent la matière de l'exécution des peines.

En choisissant d'assimiler les règles d'application des peines à celles de la détermination des peines, en les réglant sur la date des faits, le code et la Cour de Cassation commettent une confusion majeure entre deux moments et deux processus radicalement distincts de mise en œuvre de la loi pénale : celui du prononcé d’une peine, et, celui de l’application de cette dernière.

Ils raisonnent comme si le jugement, en somme, ne comptait pas plus que les décisions ultérieures, comme s’il n’était que précaire et révocable, et, qu’une fois prononcé –avec tout le luxe de précautions, la débauche de temps et d’énergie qu’il a pu supposer-, il pouvait tranquillement être « zappé » et « détricoté », sans s’encombrer d’autant de garanties et de formalités…

C’est faire, de bout en bout, de la sanction un processus unique et continu, conditionné par les seuls faits commis, qui en figent les conséquences une fois pour toutes, en fixant, en particulier, les « droits » du condamné à bénéficier des faveurs de la loi –et, quand bien même le législateur aurait de bons motifs de revenir dessus !

Or, tout le système d’exécution des peines est conçu pour, une fois la sanction appréciée par le juge de jugement, adapter sa mise en œuvre en fonction de données complètement extérieures et étrangères aux faits commis et qui ne doivent prendre en compte que l’évolution du condamné : un bon ou un mauvais comportement, des perspectives de réinsertion sociale ou non, le risque de récidive plus ou moins important etc. etc. Ce n’est pas un processus de re-jugement, de nouvelle appréciation des faits commis, mais, de jugement d’une conduite par rapport au jugement, une appréciation de faits nouveaux et postérieurs au jugement.

Soumettre l’exécution des peines à la loi des faits aboutit à dévaloriser encore plus la signification de la peine, déjà sensiblement altérée par l’écart entre la peine nominale prononcée, et, la peine effectivement subie, avec l’actualisation, au cours du temps de ses virtualités d’évolution.

C’est paralyser le législateur, qui, s’il ne peut, à juste titre, remettre en cause en quoi que ce soit, une peine prononcée, doit être parfaitement libre de faire évoluer les modalités d’application de celle-ci, en fonction des leçons de l’expérience et des choix de politique criminelle qui peuvent légitimement être les siens : poussé jusqu’à l’absurde –mais, c’est la conséquence logique implacable de cette jurisprudence !-, c’est le régime pénitentiaire lui-même en vigueur au moment des faits, jusque dans ses plus infimes détails, qui serait intangible ! Car, après tout, si l’emprisonnement est une contrainte de confinement, dans l’espace et dans le temps, la moindre de ses modalités peut rendre la peine prononcée plus ou moins « sévère », plus ou moins lourde à supporter…

Fondamentalement, c’est reconnaître que le condamné a un droit subjectif à des mesures d’ « aménagement » de sa peine –droit cristallisé à la commission des faits-, alors que ces mesures ne sont jamais que des virtualités, accordées par une autorité différente de celle de jugement (hors cet aménagement ab initio qui porte la confusion des genres à son comble…) et en fonction de données et critères qui n’ont rien à voir avec ceux que le juge de jugement doit prendre en compte. Il est vrai que cela s’inscrit dans le droit fil de la très critiquable juridictionnalisation de l’exécution des peines, qui a transformé des décisions jusque-là d’essence « gracieuse » en mesures « contentieuses ».

C’est, évidemment, contribuer, aussi, au discrédit de la loi : alors que, par exemple, dans le cas présent, le législateur, tirant les conclusions de l’expérience, avait estimé devoir revenir sur une disposition, au demeurant encore récente, permettant l’ « aménagement » des peines de prison jusqu’à deux ans, pour abaisser le seuil à un an, il va y avoir coexistence, pour un temps qui peut être fort long, de régimes différents, avec persistance d’une mesure pourtant jugée néfaste ! Et, compte tenu de l’instabilité des textes en la matière, on pourra rapidement avoir multiplicité de droits différents –ce qui ne peut qu’être une source d’incompréhension et de tensions dans la population pénale.

En poussant un peu plus l’analyse, le législateur et la Cour de Cassation auraient pu recourir à un critère considérablement plus logique et opérationnel –que nous avons proposé et défendu de longue date-, qui n’eût en rien été contraire aux principes fondamentaux : celui de la date de la condamnation ; car, ce qui compte, c’est que le juge, quand il évalue des faits et prononce leur sanction, puisse le faire en toute connaissance de cause de la portée effective de sa décision ; par exemple, en sachant si une peine de deux ans va être ou non « aménageable » : cela peut avoir de l’importance pour lui, et, le conduire, selon le cas, à moduler sa sanction ; si la loi, dans ce domaine, évolue entre la date des faits et le moment de la condamnation, qu’elle soit plus ou moins sévère est alors parfaitement indifférent, puisqu’il ne s’agit pas du quantum de la peine, mais, de simples possibilités ultérieures d’évolution dans son exécution, et, que l’on est en présence d’une situation juridique non encore définitivement constituée –elle ne le sera qu’au moment où la peine prononcée sera définitive, ce qui légitime l’application immédiate d’un texte nouveau, quel que soit son caractère plus ou moins doux.

La Cour de Cassation n’est certes pas là pour réparer les « bavures » du législateur –et, de surcroît, cette matière est polluée par des décisions du Conseil Constitutionnel et de la juridiction étrangère dite « des droits de l’homme », qui, comme de bien entendu, vont dans le sens du catastrophique modèle « pénal » dominant-, mais, elle sait, quand elle le veut, se donner une marge de manœuvre…

Feu Oswald BAUDOT, dans sa fameuse "harangue", invitait ses jeunes collègues à ne pas trop faire de cas de la jurisprudence : "il vous appartient d'être plus sage que la Cour de Cassation".

On serait parfois tenté de lui emboîter le pas, et, dans le cas présent, de prôner la résistance des juridictions inférieures à cette jurisprudence mal venue…

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