17 novembre

Terrorisme : l’architecture de l’organisation judiciaire en matière d’atteintes à la sécurité de la Nation doit être repensée

L’Etat n’a pas pris ou ne veut pas prendre conscience que le défi lancé à notre démocratie est d’ordre civilisationnel, déplore Jean-Paul Garraud, député européen RN et président de l’association professionnelle des magistrats. Tribune.

Le président de la République, François Hollande, le 16 novembre 2015, à la suite des terribles attentats qui venaient d’endeuiller la France, s’était adressé ainsi aux députés et sénateurs réunis en congrès à Versailles : « La France est en guerre. Les actes commis vendredi soir à Paris et près du stade de France sont des actes de guerre…Ils constituent une agression contre notre pays… Ils sont le fait d’une armée djihadiste… »

Une chose était de déclarer ainsi la guerre, autre chose était de se donner les moyens pour la gagner. Cinq ans plus tard, à la triste date anniversaire des six attaques au cours desquelles des islamistes ont méthodiquement massacré 130 personnes et blessé gravement 413, où en est-on ? Où en est-on depuis, dans cette « douce France », où l’horreur n’a cessé de se disputer à l’horreur à travers la multiplication des attentats ?

Des mots, des hommages, beaucoup d’annonces et quelques velléités de réformes législatives… A ce jour, après les attaques de Paris, Conflans-Sainte-Honorine, Nice, la France a-t-elle vraiment su réagir, comme l’Autriche vient de le faire ?  S’est-elle dotée de tous les outils législatifs appropriés, avec des moyens matériels et humains à la hauteur ? Nullement…

Il aurait pourtant été facile, après cette dernière série d’attentats, de déclarer l’état d’urgence et ainsi permettre des centaines d’arrestations dans les milieux islamistes, des expulsions en masse, des fermetures de mosquées salafistes, des dissolutions d’associations « séparatistes » ! Le collectif contre l’islamophobie en France (CCIF) n’est toujours pas dissous, la Mosquée de Pantin toujours pas fermée…

Il existe bien un parquet national antiterroriste (PNAT), que j’avais initié, dès novembre 2015, finalement créé par Emmanuel Macron, en service seulement depuis le 1er juillet 2019, mais englué dans de multiples procédures sans fin et ne disposant pas, comme je l’avais préconisé, d’un maillage territorial fort, destiné à exploiter judiciairement toutes les informations remontant du terrain et ainsi prévenir les attentats. C’est là une occasion manquée, une réforme inachevée, un trompe l’œil, bref, de la « justice-Potemkine », plus faite pour la communication que pour l’action.

L’Etat n’a pas pris ou ne veut pas prendre conscience que le défi lancé à notre démocratie est d’ordre civilisationnel. Nos gouvernants godillent piteusement, dépassés par la double urgence de l’heure : l’urgence sécuritaire et l’urgence sanitaire. Alors que la multiplication des actions terroristes, toutes plus horribles les unes que les autres, et dont tout porte à craindre qu’elle n’aille crescendo, exigerait de repenser en totalité notre outil judiciaire et les armes du droit.

Il faut répondre à des impératifs, intimement liés, qui vont chaque jour devenir plus cruciaux : ceux de la rapidité et de l’exemplarité de la riposte. Dans une situation de guerre, face à un ennemi plus ou moins insaisissable, qui peut frapper à n’importe quel moment et n’importe où, avec un impact psychologique énorme, la réaction de l’Etat, dans la répression des auteurs de ces crimes ne peut pas être trop longtemps différée, en s’enlisant dans les sables mouvants de procédures interminables, comme c’est souvent le cas.

De fait, très peu de dossiers sont jugés définitivement eu égard au nombre croissant de saisine du PNAT. Il est souvent saisi mais…combien d’affaires « sortent » ? L’engorgement de ce parquet national, des juridictions spécialisées d’instruction et de jugement, pose bien plus qu’une simple question de moyens matériels : le vice est dans la mécanique procédurale elle-même, dans les archaïsmes et lourdeurs de notre procédure criminelle, générateurs de très longs délais entre l’engagement des poursuites et leur jugement définitif. 

Déjà fort fâcheux en droit commun, cette situation est ruineuse pour le crédit de l’Etat et l’efficacité de la répression quand il s’agit du terrorisme : il faut réaliser que le tueur de Nice, pris sur le fait, qui a survécu, sera juridiquement considéré comme… présumé innocent pendant plusieurs années de procédure, avec toutes les conséquences de droit qui y sont attachées ! C’est avec une telle absurdité qu’il faut en finir, et, la mesure la plus efficace et énergique que l’on puisse prendre à cet égard, c’est de repenser l’architecture même de l’organisation judiciaire en matière d’atteintes à la sécurité de la Nation.

Rappelons-nous que c’est une même et très légitime préoccupation qui avait conduit le Général de Gaulle, par les lois du 15 janvier 1963, à instituer une Cour de sûreté de l’Etat, juridiction nationale spécialisée, bénéficiant de particularités de procédure dont la plupart apparaissent bien anodines aujourd’hui eu égard à l’importance de l’enjeu. Personne ne saurait voir, en dépit des polémiques dictées par l’idéologie à l’époque, dans ces lois, contresignées, notamment, par Georges Pompidou, Pierre Messmer et Valéry Giscard d’Estaing, l’émanation d’un pouvoir dictatorial attentant à l’Etat de droit. Elles ne faisaient, en fait, que s’inscrire dans la même logique qui s’impose aujourd’hui : une logique de guerre.

Certes, quelques aspects de l’organisation de la Cour, adoptés dans un contexte bien différent, marqué par les séquelles des événements d’Algérie, seraient à présent inconcevables et, au demeurant, parfaitement inutiles ; en revanche, on avait, avec cette Cour, les atouts majeurs qui nous font précisément défaut, ceux  de la centralisation et de la spécialisation, dans un cadre bien individualisé, qui était aussi celui d’une juridiction permanente. 

En outre, innovation capitale, il était prévu, quand l’état d’urgence était déclaré, en cas de crime ou délit flagrant, si les charges étaient suffisantes, la possibilité d’une comparution directe devant la cour, pour un jugement rapide : précédent dont il faut, aujourd’hui, absolument s’inspirer. Il faut donc rétablir une cour permanente spécialisée qui inclurait une réforme élargie du PNAT, pour les affaires, correctionnelles ou criminelles, touchant la sûreté intérieure et extérieure de l’Etat et le terrorisme, avec des règles exorbitantes du droit commun car le terrorisme est une criminalité elle-même exorbitante du droit commun..

On regrouperait ainsi tout l’arsenal antiterroriste, légal et judiciaire avec une organisation territoriale renforcée et compétent pour toutes les infractions connexes aux actes terroristes ainsi que pour toutes les autres atteintes à la sécurité de l’Etat comme l’espionnage, certains types de rébellion, d’attroupements et même tous les textes relatifs aux protections des personnels détenteurs d’une parcelle de puissance publique lorsqu’ils sont visés ès-qualité.

De fait, si l’on est en guerre, il faut doter la justice d’armes de guerre : une telle nouvelle Cour de sûreté de l’Etat pourrait en être le fer de lance. Certes, la « 5e colonne » des habituels tenants de l’idéologie anti-pénale poussera des cris d’orfraie à l’idée d’un Etat plus efficace dans la lutte contre les ennemis de notre société et ne manquera pas de brandir l’épouvantail du Conseil constitutionnel ou de la "Cour européenne des droits de l'homme"… Pour cette dernière, si, statuant dans quelques années, elle avait la prétention d'empêcher notre pays souverain de se défendre comme il l'entend contre ceux qui veulent l'abattre, alors, c'est de cette juridiction étrangère qu'il faudrait savoir se défendre, voire se passer !  

Quant au Conseil constitutionnel, il valide sans état d’âme des lois d’urgence sanitaire qui habilitent le gouvernement à prendre des mesures du domaine de la loi, qui portent des atteintes graves aux libertés fondamentales de nos concitoyens. Comment le même Conseil pourrait-il censurer des dispositions d’urgence sécuritaire dont seuls les terroristes auraient à se plaindre ?

Et, fondamentalement, s’il convient de choisir entre l’intérêt général de protection de nos concitoyens et l’intérêt particulier de terroristes, il n’est pas inconcevable de préférer les premiers aux seconds. Le devoir premier de l’Etat est d’assurer la sécurité de ses citoyens. Cela prévaut à toute autre considération.

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