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24 novembre

REPONSE A M. VALET

            Matthieu Valet, secrétaire national adjoint du syndicat indépendant des commissaires de police, a conclu sa tribune publiée dans VALEURS ACTUELLES n° 4433 du 11/17 novembre 2021, par la formule suivante, assassine : « Ne serait-ce pas finalement le système judiciaire qui a perdu l'essence même de sa mission ? »

            A l'APM (Association Professionnelle des Magistrats), nous avons toujours considéré que police et justice formaient les deux jambes d'un même corps. En considération de quoi nous n'attaquons jamais nos partenaires pour ne pas déséquilibrer la démocratie et la rendre boiteuse.

            Dans le même esprit constructif, nous tenons à souligner que ces attaques ad institutionem deviennent lassantes à force de répétitions. La justice laxiste et la justice inhumaine, la justice brouillonne et la justice tatillonne, la justice expéditive et la justice trop lente, la justice qui enferme à tort et la justice qui libère à tort, la justice injuste et la justice procédurière. La caricature excessive souligne l'inanité des reproches. Amis policiers, cessons là et mettez en sourdine vos attaques car elles ne servent à rien si ce n'est à détruire un lien social déjà bien abîmé.

            N'oubliez pas que l’autorité judiciaire a pour seule et unique mission d’appliquer la loi et quand celle-ci enjoint les juges de ne pas incarcérer le prévenu condamné à une peine <= 6 mois (sauf mandat de dépôt), que font les juges ? Ils appliquent la loi, ils obéissent à la loi, force devant toujours rester à la loi. Qui doit alors être critiqué : un législateur pour le moins imprudent ou des juges qui appliquent la loi ? Il serait inadmissible qu'un juge fasse primer son idéologie sur la loi.

            Assez de ces exemples particuliers, nous en aurions autant pour vous, mais nous sommes trop polis pour vous répondre sur le même registre. La justice les libère tous ? Mais MM. les policiers, commencez donc par les arrêter ! Qui n'a ces exemples en tête : combien de citoyens téléphonent aux services de police pour se plaindre d'un importun, pour appeler à l'aide tout simplement et qui s'entendent répondre « pas de patrouille disponible, le commissariat est fermé venez demain pour porter plainte, allez porter plainte là où vous habitez, remplissez d'abord une plainte en ligne, faites-vous examiner d'abord par un médecin », et tant d'autres.

            Vous nous dites toujours que vous n'êtes pas assez nombreux. Pourtant la moyenne européenne du nombre de policiers (et gendarmes) pour 100 000 habitants est de 231. En France (selon qu'on compte ou non les effectifs des douanes et des militaires de la mission Sentinelle), on est entre 281 et 300 pour 100 000 habitants. Le nombre n'est donc pas la cause, c'est bien plutôt les missions que vous avez choisi d'investir qui en sont l'explication. Vous avez investi au-delà de toute raison par exemple la sécurité routière. Savez-vous que depuis 5 ans environ, les accidents sur autoroutes et autres voies fermées (en particulier les accidents mortels) représentent 20 % du total. Or, selon les départements, les PV pour excès de vitesse sont relevés à plus de 50 % sur ces mêmes voies. Vous trouvez ça pertinent ?

            Pourquoi ce choix ? Uniquement à cause de la politique du chiffre qui repose sur les statistiques. Rien n'est plus facile que de calculer le nombre de PV dressés en matière de circulation routière, et établir ainsi un tableau d'activités flatteur. MM. Les commissaires, vous êtes en première ligne car c'est vous qui rendez compte de ces chiffres, c'est vous qui choisissez vos axes d'action.

            Mais quand il s'agit d'effectuer des enquêtes judiciaires, vous n'êtes plus assez nombreux dites-vous. Et pour les délinquants que vous interpellez, vous attendez de la justice qu'elle les enferme tous !

            Toute activité de police gourmande en personnels devient tâche indue, selon votre propre syndicat. Le stationnement gênant : vous vous en êtes débarrassés au profit des polices municipales. Les gardes statiques : elles sont maintenant le plus souvent confiées à des sociétés de sécurité privée. Vous êtes même parvenus à vous défaire de l'activité pourtant régalienne de l'escorte de détenus, confiée désormais à l'administration pénitentiaire. Qu'avez-vous fait de ces économies ?

            Arrêtons là si vous le voulez bien ce jeu de massacre. Nous sommes tous dans le même camp. Vous pouvez être insatisfaits, voire furieux, de telle ou telle décision de justice qui ne répondrait pas à vos attentes. Ne vous arrêtez pas au cas d'espèce, regardez avec honnêteté l'ensemble des jugements rendus sur une année complète ou sur plusieurs mois, et vous constaterez que, dans l'ensemble, les réponses sont à la hauteur des attentes et des espoirs. L'exécution de la peine ensuite est totalement contrainte par les textes légaux. Usez de votre influence pour faire évoluer la loi, mais ne vous en prenez pas à des juges qui n'en peuvent mais.

            Qui est votre adversaire ? Croyez-vous sincèrement que ce soit l’autorité judiciaire ? Si oui, changez de métier car vous n'aurez jamais le dernier mot. Sinon, retroussons-nous ensemble les manches et battons-nous, mais pas les uns contre les autres !

           

           

Le 23 novembre 2021

Bruno ALBISETTI

Vice-Président de l'Association Professionnelle des Magistrats

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