Lettre au Président du Conseil Constitutionnel

Catégorie : Communiqués et prises de position

Monsieur Jean-Louis DEBRE
Président Conseil Constitutionnel
2, rue de Montpensier
75001 PARIS

Monsieur le Président,

Le Conseil constitutionnel est présentement saisi de la conformité à la Constitution de la « loi relative à l’individualisation des peines et renforçant l’efficacité des sanctions pénales » (affaire n° 2014 696 DC).

La Nouvelle Association Professionnelle des Magistrats, syndicat professionnel selon le code du travail, ne peut qu’approuver les critiques émises par les auteurs de la saisine ; elle n’a cessé, en particulier, de dénoncer dans ce texte -ruineux pour le crédit des sanctions pénales et les garanties de la sécurité publique, au mépris des attentes les plus légitimes de nos concitoyens-, l’accroissement démesuré qu’il entraîne de ce qui est, déjà, l’un des plus grands maux de notre justice pénale, et, l’une des principales sources de l’incompréhension envers elle de nos compatriotes, soit : l’indétermination des peines, qu’elle aggrave considérablement, au-delà du raisonnable et en contradiction avec les exigences –enracinées dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789-, tant de la prévisibilité et de la précision du risque pénal que de l’égalité entre justiciables, qu’elle bafoue par une « individualisation » dérèglée qui confine à l’arbitraire pur et simple du juge, qu’en réaction contre l’Ancien régime, les auteurs de la Déclaration avaient, précisément, voulu éliminer.

Elle espère donc que le Conseil saura marquer des bornes à cet égard, et, faire barrage ainsi à ce qui représente une véritable entreprise de désarmement de la société face à ceux qui n’en respectent pas les règles ni les valeurs.

Mais, elle voudrait appeler votre attention sur la difficulté que soulève la présence, au sein du Conseil, pour l’examen de la saisine, de Mme Nicole MAESTRACCI : cheville ouvrière du processus d’élaboration de ce texte, et, spécialement, par l’organisation d’une « conférence de consensus » présentée comme son « socle de légitimité », elle a été, notamment tout au long des débats parlementaires comme dans les interventions de la garde des sceaux et des défenseurs du projet, abondamment citée et invoquée ; elle ne s’est pas privée, elle-même, au moins avant sa nomination, de prendre publiquement position en faveur des orientations que la loi votée n’a fait que traduire.

Compte tenu de cette participation directe à l’élaboration du texte qui vous est soumis, avec un soutien militant, public et affiché, à sa philosophie et à son contenu, il nous paraîtrait donc élémentaire que l’intéressée, devenue « juge consitutionnel », se déportât spontanément en la cause, comme on l’attendrait de tout juge dans la même situation. Et, à plus forte raison, dans un contexte où l’impartialité des juges a pu, récemment, faire débat dans l’opinion.

Nous n’avons pas oublié que, dans une autre circonstance où l’on avait vu un membre du Conseil s’engager (sous couvert d’une position de retrait provisoire inventée pour les besoins de la cause), dans une campagne référendaire, au mépris de son obligation de réserve, èvous vous étiez fait -avec beaucoup de courage, eu égard à la personnalité en question-, le défenseur des obligations déontologiques de ceux qui ont l’honneur d’appartenir au Conseil et qui sont comptables de son image d’impartialité, assise de son autorité morale : mutatis mutandis, c’est bien ce qui est également en cause ici.

Vous comprendrez que, dans le cadre de notre action syndicale et de la transparence que nous devons à nos mandants et à l’opinion, nous soyons amenés à rendre publique la présente démarche.

Je vous prie de croire, Monsieur le Président, à l’expression de notre très haute considération.

Le président de la Nouvelle Association Professionnelle des Magistrats
Jean-Paul GARRAUD