24 juillet

PROJET DE LOI « DUPOND-HALIMI » : LE DROIT PENAL EN FOLIE…

Le garde des sceaux vient d’apporter sa contribution à cette espèce de « Concours Lépine » ouvert depuis quelque temps à propos de l’irresponsabilité pénale des malades mentaux, où chacun s’efforce, en torturant le droit et la logique formelle, de résoudre cette quadrature du cercle : comment ne pas donner l’impression de remettre en cause le principe cardinal qu’on « ne juge pas les fous », tout en y faisant quand même exception pour (illustration, une fois de plus, de la détestable pratique « un fait divers, une loi »…) se plier aux injonctions des milieux qui ont dénoncé comme un scandale la conclusion judiciaire de ce qu’il est convenu d’appeler « affaire Sarah Halimi ».

On ne reviendra pas ici sur l’insupportable et indigne campagne qui s’est déchaînés en l’occurrence –avec la bénédiction ou à tout le moins, la complicité passive des pouvoirs publics, et, au premier chef, du ministre de la justice-, contre les juridictions qui ont eu à statuer dans ce dossier (douloureux mais fort complexe, dont, au surplus, on a pratiquement occulté un pan majeur, celui de l’inaction policière pendant le déroulement des faits…), et, en dernière instance, la Cour de Cassation, à coup de désinformations, procès d’intention et manipulations de l’opinion ; avec des pressions de type communautaire qui sont autant de dangereux précédents, que d’autres pourraient être tentés de répéter… Le dérèglement des esprits et des consciences a peut-être atteint ici son comble avec cet appel lancé par un parlementaire à… faire rejuger l’affaire par une juridiction étrangère !  

Pour s’en tenir aux dispositions sur ce point, intégrées dans un projet de loi « fourre-tout », déposé cette semaine par MM. Dupond-Moretti et Darmanin, et, motivées par… « l’incompréhension d’une partie de l’opinion publique » -une « incompréhension » tenant à l’ignorance crasse et à son exploitation malveillante par les groupes de pression !-, force est de constater qu’il s’agit là d’une opération « poudre aux yeux » : car, contrairement à ce qu’on va tenter de faire accroire, ces nouvelles règles n’eussent sans doute strictement rien changé dans l’affaire en cause… ; mais, pour autant, elles ouvrent des brèches potentiellement dangereuses dans la cohérence du droit pénal, avec des risques de dérives mal maîtrisables :

                1°) Une exception à l’irresponsabilité pénale totale quand elle résulterait d’une intoxication volontaire, dans un temps très voisin de l’action, « dans le dessein  de commettre l’infraction ou une infraction de même nature, ou, d’en faciliter la commission » :

                On est là, pratiquement, dans une pure hypothèse d’école : elle suppose que quelqu’un ait voulu s’intoxiquer délibérément au point de perdre tout discernement et contrôle de ses actes pour… mieux pouvoir commettre l’infraction ; autrement dit, il va falloir au juge prouver qu’il y a eu, dans la tête de l’auteur, ce raisonnement : « je vais me mettre dans la situation de ne plus savoir ce que je fais pour pouvoir mieux le faire… » -raisonnement de fou ! Et qui n’a rien à voir avec le fait, par exemple, de boire quelques verres ou de fumer quelques joints pour « se donner du cœur à l’ouvrage »…

                En admettant même que ce cas puisse se rencontrer (des « fous », on peut toujours attendre une logique folle…), il restera à en prouver la réalité : or, s’il est toujours difficile de faire la preuve d’une intentionnalité, qui relève de la pure subjectivité et du for intérieur, dans le cas présent, il faudra, non seulement que l’intention de violence meurtrière concomitante à l’intoxication soit établie, mais, que l’intoxication elle-même s’inscrive dans ce projet comme un moyen de sa réalisation…

                Dans un cas comme celui de Mme Halimi, où l’intoxication du meurtrier était un processus de plus longue date qui a pu conduire, brutalement, à une « bouffée délirante » (notion bien connue en psychiatrie -où l’on sait qu’on peut en voir se déclencher brusquement chez des personnes n’ayant aucune pratique de toxicomanie : ce n’est en rien une exclusivité, pas plus qu’une conséquence fatale ou nécessaire, ni même très fréquente, de cette dernière), on voit mal comment un tel texte eût pu s’appliquer !…

                     C’est donc un pur trompe-l’œil.

                2°)  Une nouvelle infraction d’ « atteinte à la vie ou à l’intégrité d’autrui résultant d’une intoxication volontaire » ayant entraîné une irresponsabilité pénale :                 Il s’agirait de pénaliser celui qui consomme volontairement « de façon illicite ou manifestement excessive » (ce qui ouvre, dans ce dernier cas, de délicats débats sur cet « excès » : à combien, par exemple, de taux d’alcoolémie ?...) des substances psychoactives, « en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de le conduire à commettre » de telles atteintes, lorsque cette consommation entraîne un trouble psychique ou neuropsychique sous l’empire duquel il commet un homicide volontaire, dont il est déclaré irresponsable pénalement.

                Nouvelle plongée dans la subjectivité… : il faudra prouver cette « connaissance » préalable du risque potentiel que présente l’intoxication de ce passage à l’acte criminel spécifique en question…

                Comme si une toxicomanie comportait nécessairement le risque, connu, de devenir un meurtrier ! C’est proprement loufoque… Si on y va par-là, avec des statistiques de fréquence, on peut mesurer le risque, pour n’importe quelle activité humaine,  de déboucher sur un homicide (et encore faudra-t-il prouver, au cas par cas, que cette statistique était bien connue de l’intéressé…). Pour s’en tenir, là encore, au cas Halimi, s’il peut arriver qu’une intoxication au cannabis puisse provoquer un jour une bouffée délirante, ce risque est, statistiquement, marginal, et, de plus, toutes les bouffées délirantes ne conduisent pas ceux qui en sont victimes, toxicomanes ou non,  à trucider leurs voisins !

                Il faudrait donc, pour que ce texte puisse s’appliquer, de bonne foi et en bon droit, des hypothèses tout à fait extraordinaires…

                Mais, ce qui est, pour le coup, tout à fait extraordinaire, c’est que le projet prévoit une circonstance aggravante, avec augmentation de la peine encourue, pour celui qui, auparavant, aurait fait l’objet d’une décision d’irresponsabilité pénale pour homicide volontaire, si cette irresponsabilité résulte d’une intoxication par les mêmes substances : autrement dit, un fait qui n’aurait pu, directement, donner lieu à une sanction, pour cause d’irresponsabilité, pourra quand même, ultérieurement et rétroactivement, se voir sanctionné, indirectement, au titre de circonstance aggravante d’une nouvelle infraction : c’est, pour le moins… original ! Et, d’évidence, cette innovation bafoue des principes fondamentaux du droit.

                S’agit-il, comme une sorte de « rattrapage », de prévoir une éventuelle récidive du meurtrier de Mme Halimi ?

                3°) Une nouvelle infraction de violences sur autrui résultant d’une intoxication volontaire ayant entraîné une irresponsabilité pénale :

                C’est le « miroir » de la précédente, pour des violences physiques autres que l’homicide volontaire, avec une gradation de la peine selon la gravité de l’atteinte.

                 L’élément intentionnel est formulé de la même façon : « en ayant connaissance du fait que cette consommation est susceptible de le conduire à commettre » de telles atteintes.

                Il appelle donc les mêmes observations et objections.

           Même si certaines substances peuvent être connues comme pouvant favoriser, par exemple, l’agressivité, il est, en bon sens et en bonne science, impossible raisonnablement d’en inférer un lien de cause à effet et de nécessité avec la commission d’infractions : la « drogue du crime » n’existe pas. Aussi, considérer que la simple « connaissance », serait-elle établie en fait -ce qui, déjà, ne va pas de soi-, d’un risque aussi hypothétique et statistiquement marginal, devrait être pénalisée et faire échec, indirectement mais nécessairement, à une irresponsabilité justifiée par ailleurs, est, juridiquement, peu cohérent, et, passablement problématique par rapport aux principes constitutionnels, qui exigent de la loi pénale d’incrimination qu’elle soit suffisamment précise et prévisible.

                Le paradoxe –miracle de l’ « en même temps »-, c’est qu’on veut plus sanctionner les toxicomanes, au moment où… on entend parallèlement développer les « salles de shoot » : comprend qui peut…

                On est donc là dans l’ « intoxication »… politique et médiatique ; mais pour, autant, c’est loin d’être neutre dans le fonctionnement de la Justice.

  4°) L’obligation de poser la question sur ces infractions subsidiaires en cour d’assises, et, généralement, les risques d’abus dans le recours à ces qualifications « de rattrapage » :

  Il est à craindre, en effet –et pas seulement en cour d’assises-, que, sous la pression des victimes, ces infractions deviennent un moyen de tourner les règles sur l’irresponsabilité pénale, souvent mal comprises et mal admises : on imagine volontiers que des jurés se rabattront facilement sur elles, quand bien même les conditions strictes n’en seraient pas, en fait, réunies, pour prononcer quand même une peine –et, la tentation d’y recourir peut, aussi, être forte pour les parquets… : on peut penser que, conscient de ce risque de dérive, l’avocat Dupond-Moretti eût tiré à boulets rouges sur un tel projet –mais, voilà, il est, présentement, un ministre aux ordres ! Ceux de son chef –puisque le Président Macron, qui n’en est plus à un manquement près à ses obligations de garant de l’indépendance de la Justice, avait pris position sur l’affaire pour s’associer au concert de dénigrement-, et, ceux de l’opinion publique –« cette intruse, cette prostituée » que dénonçait naguère son illustre confrère,  Me Vincent de Moro-Giafferi.

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