C'est la question que pose très sérieusement le syndicat FO Magistrature dans la livraison d'avril 2015 de sa lettre électronique. Selon les auteurs, cette suppression aurait pour résultat de permettre des économies substantielles, sans pour autant faire disparaître la procédure d'appel, qui se déroulerait désormais devant une juridiction du même niveau, selon un système d'appel tournant.
Mécontent de la décision rendue à Toulouse, le justiciable tenterait donc sa chance devant le tribunal de Montpellier. Ou d'ailleurs. Donc cela reviendrait à supprimer les cours d'appel pour organiser une "tournante judiciaire"....
Passons sur le fait que cette procédure dite de « l'appel circulaire » n'est en rien nouvelle, et qu'elle a déjà été instaurée pendant la période révolutionnaire, et rapidement abandonnée. On n'osera pas suggérer de rechercher les raisons de cet abandon, car en nos temps supérieurement modernes de communication électronique, tweets et autres échanges aussi insanes qu'instantanés via les « réseaux sociaux » il serait vain, voire ringard, de prétendre vouloir tirer les leçons du passé.
Sans donc remonter aux temps révolutionnaires, et pour rester tout à fait actuel, il semble que la question de l'existence et de la mission des cours d'appel doive être élargie à la question plus vaste de la définition et du périmètre du contrat social. Et en l'espèce, à la question de savoir pourquoi des particuliers plutôt vindicatifs (entre eux) acceptent de se soumettre à la décision d'une juridiction ? En réalité, ils le font pour des raisons multiples et mélangées.
D'abord pour une raison inavouée mais bien présente: pour une raison quasi religieuse.
Comme on se rend à l'église, on se rend au Palais, avec son architecture symbolique et impressionnante. On est bien revenu des palais construits dans les années 70 qui se voulaient simplement administratifs dépouillés de toute charge symbolique. Et par exemple le nouveau tribunal de Nantes est un modèle d'architecture symbolique: A l'extérieur, sa masse noire impressionne et écrase le visiteur. A l'intérieur, le décor rouge sang et noir a délibérément été voulu pour faire ressentir à ce même visiteur un sentiment de crainte (une peur bleue pour rester dans le registre des couleurs), afin que quand il sorte, il soit soulagé et se dise que ça aurait pu être pire. Et que dire des salles d'audience du tribunal de Lyon, dans lesquelles les juges siègent à contrejour du justiciable, ou de celles du tribunal de Bordeaux dans lesquelles la lumière du jour tombe sur les juges comme la vérité révélée...
On se rend donc au Palais comme à l'église, pour y être confronté à ses prêtres en soutanes et à sa liturgie…et pour recevoir la parole vraie, qui tombera de l'autel.
Tout ce dispositif quasi religieux a été pensé et voulu pour imposer le respect et contribuer à l'acceptation des décisions rendues.
Mais une autre raison, va également contribuer à l'acceptation des décisions de justice. Une raison qui a son importance dans notre société "laïque" (les deux raisons restant quand même très imbriquées l'une dans l'autre): on va s'adresser à un technicien du droit, le juge étant celui qui dit le droit.
Et en cas de doute, on va déférer le contentieux devant une juridiction "supérieure" (parce qu'on croit à sa supériorité, et qu'elle est reconnue) qui contrôlera que le droit a été ou non bien dit. Nous les professionnels, savons bien qu'il y a là une totale fiction, et que (surtout depuis le cylindrage quasi généralisé du corps" réalisé lors du repyramidage des emplois) les magistrats qui composent les cours d'appels ne sont pas plus malins que ceux de la base, mais ce n'est pas une raison suffisante pour l'avouer, si on ne veut pas scier toute la branche sur laquelle repose l'édifice, en affaiblissant le caractère à la fois "sacré" et "scientifique" (pour les tiers s'entend) de nos décisions…
Supprimer les cours d'appel revient à nier leur caractère supérieurement technique et à dire que finalement tout se vaut. Alors pourquoi s'arrêter à un seul appel tournant, et ne pas autoriser la saisine successive de toutes les juridictions, jusqu'à ce qu'on ait obtenu satisfaction. Et d'ailleurs, un appel tournant, cela revient simplement à dire "ça ne me convient pas, je vais tenter ma chance ailleurs".
On est loin de la recherche de la "vérité" judiciaire.
Avec en outre un autre risque, c'est que les "institutionnels" en finissent par choisir leurs juges grâce à ce mécanisme d'appel tournant: les sociétés de crédit éviteraient les juges d'instance suspects d'idéologie anti banque, les avocats feraient leurs courses entre juridictions plus ou moins répressives, etc.
Tout cela ne ferait en fait qu'affaiblir la portée symbolique de la décision judiciaire, et par voie de conséquence, par encore abaisser l'action et la place de l'autorité judiciaire.
Et il est d'ailleurs à craindre que la suggestion de FO ne trouve pas dans ces conditions un écho favorable auprès de certains politiques, tous plus ou moins consommateurs de « petits pois ».
Mais au moins la lecture de ce bulletin de FO nous apprend elle que Jean de Maillard fait désormais partie de ce syndicat. Et son papier sur le disciplinaire intitulé « pas d'appel pour les juges » est excellent, comme toujours… Il met en évidence une réformette qui vise à réduire de trente à trois ans le délai de prescription en matière disciplinaire, et ce afin d'éviter que les responsables du mur des c... puissent faire l'objet de poursuite en cas d'alternance, mais surtout il met en lumière la situation défavorable des magistrats du siège qui contrairement à ceux du parquet peuvent en matière disciplinaire se voir privés de toute possibilité d'appel ou de cassation. Voir son sort soumis à l'action conjuguée de la hiérarchie judiciaire, de l'inspection des services, du ministère et du CSM, en sachant que l'indépendance de tout ce beau monde est sujette à la géométrie variable des périodes électorales, c'est peut être finalement cela qui pourrait pousser à un dynamitage du système, à commencer par la suppression des cours d'appel.
Mais on avouera que ce serait une forte mauvaise raison.