La longue interview donnée par Eliane Houlette en quittant le parquet national financier, dans Marianne de la semaine dernière, semble être passée très inaperçue, et, c'est fort dommage, car ce plaidoyer pro domo laisse pantois sur ce qui aura été son plus beau "coup" à la tête de cette très discutable institution (que nous avions dénoncée dès l'origine).
Même si le sort de François Fillon peut n'avoir rien qui puisse, aujourd'hui, inspirer la commisération, par souci du droit et compte tenu des inquiétudes légitimes que peut faire naître la dérive, d'emblée, du P.N.F. vers une juridiction d'exception réservée aux politiques -de préférence quand ils sont du mauvais côté de la Force-, et, aux "vedettes" du monde des affaires, les propos de l'intéressée devraient faire réfléchir, en dehors de tout clivage partisan, car ils ne peuvent qu'alimenter le procès de "justice politique" qui lui est fait (comme on peut encore le voir, cette semaine, avec l'éditorial au vitriol du Point...).
D'abord, parce que, si -évidemment-, elle se garde bien de le reconnaître expressément, elle confirme, implicitement, que ce dossier ne relevait pas de la compétence du P.N.F. : "J'ai ouvert une enquête préliminaire après l'article du Canard enchaîné, puis ensuite une information judiciaire. Que cette décision ait eu un impact, probablement. Nous étions dans une période de précampagne. J'avais connaissance de faits qui comportaient beaucoup d'éléments précis, objectifs et facilement vérifiables" : on ne le lui fait pas dire ! Les faits, effectivement, n'avaient rien qui relevât de ce critère de "complexité" (technicité et/ou dimension des investigations) qui est la raison d'être de la saisine du PNF : 3 ou 4 mis en cause, un périmètre bien délimité, pas de villa à Marrakech ou de circuits obscurs dans les paradis fiscaux etc. etc. : on n'est pas chez cet autre couple très politique dont on a beauoup parlé ces temps-ci...).
Mais le plus gros reste à venir, quant à l'ouverture de l'information judiciaire (à deux mois de l'élection, ce qui n'est plus de la "précampagne", et, ne pouvait pas n'avoir d'impact que "probablement" -alors que l'intéressé avait déclaré qu'une mise en examen serait la seule chose qui pût l'empêcher d'être candidat, ce qui était agiter la muleta sous le nez du taureau...) : "il s'est produit un concours de circonstances. Ici, au PNF nous privilégions toujours les enquêtes préliminaires [...] La logique de l'affaire Fillon était effectivement qu'elle reste en enquête préliminaire, et, qu'elle soit ensuite, éventuellement, renvoyée en correctionnelle en citation directe.Mais les lois en matière de prescription étaient en train de changer. Au mois de février 2017, un nouveau texte est venu bouleverser les règles en fixant à douze ans la prescription pour les délits... Dans l'espace d'un week-end nous avons estimé que les faits concernant l'emploi de Mme Fillon remontant à une période assez éloignée risquaient d'être prescrits si nous n'engagions pas l'action publique. Je n'ai pas voulu prendre ce risque et j'ai donc décidé d'ouvrir cette information judiciairte. Voilà l'exacte vérité".
Et voilà l' "exacte vérité" du fait et du droit : les faits reprochés à Mme Fillon ne remontaient qu'à 2012-2013 -soit, dans les 5 ans qui étaient alors la règle-, et, non seulement, bénéficiaient de la jurisprudence sur les faits occultes ou dissimulés -qui en reportaient le point de départ à leur révélation-, mais, de toute façon, la prescription ne pouvait qu'être interrompue par les actes d'enquête préliminaire... Quant au nouveau droit issu de la loi du 27 février 2017 (qui n'est tout de même pas tombée du ciel la veille du week-end !), il prévoyait, en réalité, que la prescription serait désormais de 6 ans pour les délits, avec une limite maximum spéciale pour les délits occultes ou dissimulés, de 12 ans (+ une disposition transitoire, qui disposait que le texte ne pouvait avoir pour effet de prescrire des infractions qui, au moment de son entrée en vigueur, avaient valablement fait l'objet d'une mise en mouvement de l'action publique) : on ne voit donc pas où était le "risque" !... (au demeurant, l' "affaire Pénélope" n'était qu'un à-côté, où le candidat, au pire, était complice -on peut, d'ailleurs, d'un point de vue déontologique, se demander si une telle volonté de faire échec, le cas échéant, à l'intention du législateur au cas où elle aurait eu vraiment pour effet de prescrire ces faits, si elle n'était pas illégale, était si méritoire...).
Les mauvais prétextes cachent souvent la mauvaise conscience dans les mauvaises causes...
Une brochette de pétitionnaires -qui reléve un peu de la muséographie judiciaire, avec, entre autres, Louis Joinet, un des fondateurs du S.M. (en 1968 : "cours, camarade, le vieux monde est derrière toi"...)-, vient de réclamer, au Brésil, la libération de Lulla, au motif que le juge à qui il doit sa chute, devenu ministre de la justice du nouveau président, aurait eu des motivations politiques : on attend de savoir s'ils vont, aussi, se mobiliser sur les conditions de gestion de l'affaire Fillon sous la houlette du PNF...