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BREF COMMENTAIRE DES COMMENTAIRES SUR LE JUGEMENT A.H.S.

Une organisation professionnelle de magistrats n’a pas à commenter une décision de justice particulière –sauf à évoquer les éventuelles problématiques juridiques et institutionnelles qu’elle pourrait soulever.

Elle peut, en revanche, dans cet esprit, commenter les commentaires qui en sont faits.

A cet égard, la décision rendue par le tribunal correctionnel de Paris dans l’affaire qu’il est convenu d’appeler « des écoutes » ou « Paul Bismuth », à l’encontre de l’ancien Président de la République Nicolas Sarkozy, son avocat, Me Thierry Herzog et le magistrat (retraité) Gilbert Azibert, a provoqué un déversement, d’une rare ampleur, de tombereaux de stupidités -par malveillance partisane et/ou crasse ignorance des réalités procédurales élémentaires.

Les condamnés, en personne ou par leurs conseils, se sont montrés très critiques : sans surprise (devait-on s’attendre à ce qu’ils applaudissent à tout rompre ?!). Mais, la valeur d’une cause ne s’apprécie pas à l’intensité de l’indignation de celui qui la perd… Un vieux brocard des Palais dit que l’on a « 24 heures pour maudire ses juges » : la colère n’est jamais bonne conseillère, et, on ne convainc pas les juges d’appel avec des imprécations mais avec des arguments…

Il est plus préoccupant, pour la bonne santé de l’esprit public et la qualité de la vie démocratique dans un Etat de droit, qu’aient pu être assénées des « énormités », manifestement destinées à jeter le discrédit sur une décision de justice –ce qui est une infraction prévue et réprimée par l’article 434-25 du code pénal-, tant, par leur outrance et leur déni des faits comme du droit, elles ont passé les bornes admises de la libre critique.

La palme –mais la compétition reste sans doute ouverte-, pourrait revenir à ce responsable d’une grande formation politique, qui a pu froidement déclarer, au sujet de l’ex-Président : « la Justice le condamne pour une infraction dont elle dit qu’il ne l’a pas commise » … Il aura mal lu –ou, sans doute pas lu du tout-, les 254 pages de motivation de la décision…

Petit florilège, non exhaustif ni, sans doute, définitif :

« Le tribunal a condamné sans preuves » :

                On se demande ce qui, pour ces gens-là, peut être une « preuve » : voudraient-il rétablir l’arithmétique de l’archaïque système des « preuves légales », avec ses « preuves », « demi-preuves », « quarts de preuve »…, ridiculisées par Voltaire et dont l’abandon a été l’une des premières grandes conquêtes de la Révolution ? A moins que ces esprits forts aient ce que d’aucuns appellent « la religion de l’aveu » ?... (sans aveu, pas de condamnation possible : voilà, par exemple, qui serait commode !).

            Il n’a été, en l’espèce, que très banalement fait application de l’article 427 du code de procédure pénale : «  Hors les cas où la loi en dispose autrement, les infractions peuvent être établies par tout mode de preuve et le juge décide d'après son intime conviction. / Le juge ne peut fonder sa décision que sur des preuves qui lui sont apportées au cours des débats et contradictoirement discutées devant lui. »

                Le tribunal, comme le font tous les autres et tous les jours en France, s’est fondé (il l’écrit expressément, si on veut bien le lire, et, cela découle de tous ses raisonnements) sur un « faisceau d’indices » : s’agissant, par définition, d’une infraction essentiellement immatérielle, on voit mal comment la preuve pourrait se faire autrement que par présomptions, graves, précises et concordantes, résultant du rapprochement et de la synthèse des éléments de fait figurant au dossier -on a rarement vu un « pacte de corruption » conclu par acte authentique devant notaire !... Pour sidérant que cela puisse paraître aux analphabètes de la classe médiatique et politique qui prétendent enseigner aux masses le droit de la preuve, corrompus et corrupteurs et autres trafiquants d’influence évitent, en général, de laisser la moindre trace de leur entente… : pas vus pas pris !

                Mais, en l’occurrence, ce qu’ils n’avaient pas prévu ici, c’était « écoutés et pris » : car c’est la transcription des écoutes réalisées qui, pour le tribunal, atteste de l’existence de ce pacte. Chacun peut, à cet égard, avoir son opinion, et, tirer de ce qu’on peut y lire les conclusions qu’il veut –et, les seules qui compteront, en définitive, seront celles de la cour d’appel. Il est, néanmoins, difficile de nier qu’elles soulèvent pour le moins des interrogations légitimes, en ce qu’il y est question, pour un magistrat en poste, d’aller à la pêche aux informations –pourtant strictement couvertes par le secret professionnel-, et de sonder ses collègues concernés, pour renseigner un avocat ami au bénéfice de son client, et, en même temps, du vœu de l’intéressé d’obtenir un poste monégasque pour lequel ledit client évoque une démarche auprès du Prince –avant un brusque revirement in extremis, dans des conditions qui ont été jugées suffisamment curieuses par le Parquet pour entraîner une enquête en vue d’identifier une éventuelle « taupe » qui eût pu informer l’avocat et son client qu’ils étaient écoutés.

                Quoiqu’il en soit, comme tout élément d’un dossier, la force probante de ceux-là peut être discutée –et le sera encore-, mais, faire comme si le jugement ne reposait sur rien est une pure et simple imposture et une désinformation.

                Comme de tenter, pour impressionner une opinion qui n’a pas forcément les connaissances d’un agrégé de droit pénal et dont il est facile d’abuser de la crédulité, de tirer argument de ce que le « pacte » en question a échoué : ce qui, en droit, est indifférent à l’existence de l’infraction (pas nécessaire de « réussir », il suffit d’ « entreprendre »…).

« Les écoutes entre un avocat et son client étaient illégales » :

                Chacun est libre de le penser –et, d’abord… ceux qui y ont intérêt afin de faire écarter du dossier ce qui en est la pierre angulaire, comme on l’a vu.

                Cependant, force est de constater que ces écoutes ont été validées par toutes les juridictions qui ont eu à en connaître, jusqu’à la Cour de Cassation –et, leur nouvelle validation par le Tribunal est un désaveu de plus pour ceux qui les contestent, Me Dupond-Moretti en tête, serait-il, pour l’occasion, flanqué de telle ou telle ancienne « vedette » du corps judiciaire.

                Ce qui distingue un Etat de droit de tout autre, c’est qu’il n’y existe pas de droit « absolu » ni de « privilège » sans limite : le secret professionnel accordé à certains par la loi n’est jamais un brevet d’immunité qui autoriserait son bénéficiaire à en profiter pour commettre des infractions sous son abri ; il n’en jouit que pour l’exercice normal de sa profession, qui en fait le « confident nécessaire » de son client, mais… pas son complice !

                Il a toujours été admis –et, fort heureusement-, que l’avocat n’est pas au-dessus des lois : la protection qui lui est accordée l’est au professionnel seul, pour les besoins de sa profession, et, non à la personne privée ; dès lors qu’un avocat se sert de sa robe et des prérogatives qu’elle lui confère pour quitter son rôle et emprunter celui de délinquant ordinaire, ces prérogatives perdent leur raison d’être et doivent tomber.

                Raisonner autrement serait le pire service à rendre à ce noble métier, en accréditant l’idée que, quoi qu’il arrive, ses « ripoux » seraient intouchables, et, pourraient tranquillement et impunément se faire les associés des malfaiteurs qu’ils défendent ; c’est du crédit de la profession qu’il y va : rien ne serait plus ruineux pour celle-ci dans son image publique (et, à quelle confiance pourrait-elle, alors, prétendre auprès des magistrats ? Quand cette confiance est le fondement de son statut).

                Toit porte pourtant à croire qu’un lobby –dont l’actuel ministre de la justice est la tête de pont place Vendôme-, va chercher à sanctuariser encore plus la relation entre l’avocat et son client : c’est aussi irresponsable et illégitime au regard de l’égalité devant la loi, que profondément pervers pour l’intérêt bien compris des membres du Barreau.

«  Le tribunal se permet de faire de la morale » :

                Et quand bien même, d’ailleurs, ce serait le cas ? « Morale » est donc un si gros mot, qu’il doive provoquer de telles allergies ?... Comme si le droit pénal, en prohibant des comportements nuisibles à la société, n’exprimait pas une échelle d’exigences morales, qui ne se réduisent pas à de la pure ingénierie sociale… Alors que notre époque se gargarise comme jamais d’ « éthique » et de « valeurs », la seule institution qui porte le nom d’une valeur se verrait interdire d’en faire autant ?!

                Mais, en fait, le tribunal, comme c’est son rôle, s’est borné en l’occurrence, comme il en a l’obligation légale, à apprécier et caractériser la gravité des faits qu’il jugeait au regard du contexte concret dans lequel ils s’inscrivaient, soit la personnalité de leurs auteurs et les éléments de leur situation matérielle, familiale ou sociale (Cf. article 132-19 du code de procédure pénale) ; la gravité d’une infraction –dont dépend directement l’intensité de sa sanction-, peut, derrière l’abstraction de sa qualification juridique, présenter une dimension « objective » (son impact physique, matériel, économique, financier…), aussi bien que « subjective » (son impact psychologique et moral…).

                Dans le cas présent, le tribunal souligne le facteur évident d’aggravation que constitue le fait, pour les intéressés, d’avoir eu des fonctions et/ou une position sociale qui eussent dû les rendre, plus que d’autres, conscients de l’illégalité de leur comportement, et, de l’atteinte qu’il pouvait porter au crédit de la justice : ce sont là des données de pur fait, propres à leur situation personnelle.

                Et comment, en effet, la confiance des justiciables envers l’institution –puisqu’il l’évoque-, ne serait-elle pas altérée en voyant des gens trahir leur serment professionnel et s’affranchir des règles et procédures imposées au citoyen lambda, en empruntant des voies détournées ?...

                Rappeler ces réalités, dès lors qu’il estimait l’infraction constituée, n’était pas dériver vers des considérations « morales », mais, simplement justifier, par des circonstances tout à fait objectives, la sévérité des peines qu’il a estimé devoir prononcer (sur la nature et le quantum desquelles, au demeurant, chacun peut avoir son opinion personnelle : on n’entrera pas ici dans ce débat, qui n’est plus d’ordre institutionnel).

                On peut, au demeurant, relever que ses termes les plus forts, à cet égard, sont sans doute ceux qui visent son collègue magistrat… : qui dira encore que le corps judiciaire protège ses membres ?!

« C’est la vengeance des ‘petits pois’… » :

                Ah, les « petits pois » ! On les aura resservis, à toutes les sauces… Pour certains, la cause est entendue : « les juges » ont voulu prendre leur revanche des avanies qu’avait pu leur faire subir l’ancien Président Sarkozy.

                On ne s’attardera pas sur l’absurdité de ce genre de généralisation : « les juges », en la circonstance, ce ne sont jamais que trois magistrats (soit, quelque chose comme 0,0003% de la magistrature…), que rien n’autorise à ériger en « contradicteurs légitimes » de leur corps, ayant la moindre qualité à le représenter dans son ensemble ni à s’exprimer en son nom.

                Il est indéniable que l’intéressé n’a pas laissé à nombre d’entre eux le souvenir d’un responsable politique qui les respectait et les comprenait, et, les griefs, à cet égard, ne manquent pas… (non moins d’ailleurs qu’à l’égard de ses successeurs –puisque l’hostilité envers la Magistrature semble se transmettre maintenant avec le collier de grand maître de la Légion d’Honneur …).

                Pour autant, ce ne sont pas « les juges » qui ont inventé ce dossier : à partir du moment où ces écoutes téléphoniques ont été révélées, à l’occasion d’une tout autre affaire, et, où une poursuite était exercée, la procédure ne pouvait pas ne pas suivre son cours ; et, dès lors qu’à tort ou à raison, la culpabilité était en définitive retenue, une sanction ne pouvait manquer de s’en suivre.

                Un débat particulier s’est, à cette occasion, ouvert sur le Parquet national financier, accusé par certains d’ « acharnement » à l’égard de l’ancien Président, et, généralement, des responsables politiques de ce qu’il est convenu d’appeler « la droite ».

                Il est de fait que, création de circonstance, comme une forme de contre-feu de communication politique à « l’affaire Cahuzac », cette innovation, qui a institué une sorte de concurrence malsaine au sein du ministère public parisien, peine encore à légitimer son existence –et, ce ne sont pas de récentes révélations sur de singulières dérives en son sein qui pourront, à cet égard, renforcer son crédit. Le piège majeur, pour lui, était d’apparaître comme le parquet spécialisé des « importants », politiques en tête : il n’a, manifestement, pas su l’éviter, dès le départ, lançant des poursuites dans des dossiers sans réelle complexité économique et financière mais touchant des « vedettes »…

                Dans le cas présent, si l’affaire était, à l’origine, un « produit dérivé » d’un dossier suivi par le P.N.F., il est très discutable qu’un tel dossier sans la moindre complexité –et, même, sans enjeu financier significatif !-, ait été suivi par ledit P.N.F., jusqu’à soutenir l’accusation à l’audience : c’est illustrer et consacrer cette dérive, fatale pour lui.

                On s’amusera, dans ce contexte, de l’intervention de l’ancien Président Hollande, volant à son secours… quand on n’a pas oublié les propos qu’il tenait sur la Justice dans l’ouvrage « Un Président ne devrait pas dire cela » -c’est plus vrai que jamais…

«  C’est le ‘gouvernement des juges’ » :

                On l’a gardé pour la fin : puisqu’il se trouve encore des commentateurs pour ressortir leur épouvantail favori…

                Qui sont, dans la classe politique, les mêmes qui, benoîtement, depuis près d’un demi-siècle, n’ont cessé, droite et gauche de gouvernement confondues, de laisser, étape par étape, en y prêtant chaque fois un peu plus la main, se construire le seul et authentique « gouvernement des juges » que subit aujourd’hui notre pays –soit, celui du Conseil constitutionnel et des juridictions européennes ; ce qui ne laisse pas d’être plaisant dans leur bouche… (on a trop cité le mot de Bossuet, devenu un cliché, sur les ricanements de Dieu devant les nigauds qui gémissent des maux dont ils chérissent les causes, pour le reprendre ici, mais, la tentation est forte).

                Comme si les politiques devaient être au-dessus des lois, et, comme si, chaque fois que la Justice est contrainte de rappeler à l’un d’eux que les textes votés par les élus contre la corruption, le trafic d’influence et autres tricheries n’étaient quand même pas faits pour rester lettre morte, ce devait être considéré comme un scandale démocratique et un attentat contre la République !...

                Ce réflexe pavlovien est un signe de profonde immaturité de la société française –ou plutôt, de certaines élites dirigeantes, sourdes aux aspirations profondes du pays : car, sans nul doute, nos concitoyens, eux, ne s’y trompent pas.

Tout cela, il appartenait au ministre chargé de la Justice de le dire haut et fort, pour ne pas laisser accabler l’institution dont la protection lui a été confiée ; sans surprise, il s’est, à chaque fois, défilé –quitte à en rajouter subtilement une couche, en vaticinant sur la « défiance des Français » envers leur Justice, et, en en profitant pour annoncer, entre autres, sa volonté de renforcer la protection de ses confrères et l’ « encadrement » des enquêtes préliminaires… Avec un pareil « avocat », l’institution n’a plus besoin de procureurs…

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