Alors que, de son propre aveu, il n’est même pas encore écrit, Me Dupond-Moretti a tenté, ces jours-ci, de faire concurrence au battage médiatique relatif au jugement rendu dans l’affaire Sarkozy et consorts, en annonçant ce qui serait les grandes lignes de sa réforme de la Justice.
Postulat de départ : « les Français n’ont pas confiance dans leur Justice » -et, de citer un énième sondage, dont il résulte, quand même, que près de la moitié des gens expriment une telle confiance : ce qui est assez remarquable, car c’est l’une des institutions qui a la meilleure cote (quand, par exemple, les partis politiques sont, eux, très loin derrière dans les profondeurs…).
Au demeurant, quand on sait qu’il n’y a sans doute pas un français sur mille pour être capable de soutenir cinq minutes de conversation un tant soit peu éclairée sur le sujet (et, comme chacun a pu en faire l’expérience, même dans des milieux supposés plus cultivés que la moyenne, on peut rencontrer des gens qui ne font pas vraiment la différence entre un magistrat et un avocat –ne parlons même pas, de celle entre siège et parquet…), on est toujours rêveur devant ce type de sondages… Il est à craindre, à cet égard, que les gens ne se fassent leur religion sur cette institution qu’essentiellement à travers ce qu’ils en entendent dire dans les médias –c’est-à-dire, le plus souvent, négatif et critique, sans contrepoint (un avocat dont on taira le nom, puisqu’il est devenu, depuis, garde des sceaux, s’est particulièrement distingué, pendant des années, dans cet exercice…).
En attendant un vrai projet, quelques brefs commentaires de ces ballons d’essai :
1°) La suppression des « réductions de peine automatiques »
C’est ce que les médias ont le plus retenu –et, le plus mal compris !
Car il y a les « paroles » et il y a la « musique » : le ministre-avocat n’entend en rien remettre en cause le système d’érosion des peines ni en finir avec les réductions de peine ; bien au contraire, si on se donne simplement la peine de l’écouter : tout porte à croire que les sanctions prononcées pourront toujours être abrégées dans la même proportion qu’à l’heure actuelle –sinon plus encore ; seul, en fait, le mode d’attribution des réductions devrait changer, et, les deux actuelles étant fusionnées en une seule.
Il faut rappeler que, jusqu’à une période récente, les réductions étaient accordées par le juge de l’application des peines, après avis de la commission d’application des peines, la situation de chaque condamné à cet égard étant examinée une fois par an, avec la possibilité de retrait ultérieur de tout ou partie des réductions accordées.
Pendant longtemps, par une extravagance de la loi, le total des réductions pouvant être accordées, de trois sortes, cumulables, atteignait… 9 mois par an, lesquels donnaient droit, en plus, à une diminution de moitié du délai d’épreuve pour obtenir la libération conditionnelle –soit, un abrégement de la peine de… 13 mois et demi par année d’incarcération ! La peine négative, en somme…
Des textes sont venus pour réduire ce quantum (mais il peut encore, dans le cas le plus favorable, atteindre 5 mois par an + la réduction de moitié du délai d’épreuve, soit, 7 mois et demi, au total).
A la demande insistante de l’administration pénitentiaire, il s’est trouvé un Gouvernement pour décider, il y a une vingtaine d’années, que les réductions seraient transformées en crédit de peine « automatique » ; ce qui s’est traduit par un allègement de la charge des J.A.P et des commissions –l’un des motifs de cette réforme, avec le constat que, dans les faits, la très grande majorité des condamnés bénéficiaient des réductions sans retrait, ce qui, d’une certaine façon, était mettre le droit en accord avec le fait.
Depuis, le condamné se voit d’emblée accorder le total des réductions possibles, mais, au cours de sa détention, peut en voir l’avantage supprimé, en tout ou en partie, en cas de mauvais comportement (et, même, en cas de nouvelle condamnation, par décision de la juridiction) : ce que, par une grossière démagogie, le ministre se garde bien de préciser, laissant ainsi entendre que tous les détenus jouiraient du total de leur « crédit », face à des journalistes ignares ou complaisants, gobe-mouches de service… C’est qu’il sait bien que ce divorce entre peine prononcée et peine exécutée est, à juste titre, une des grandes sources d’incompréhension de l’opinion, et, pour le coup, une cause de défiance majeure envers la Justice (qui n’en peut mais : c’est le législateur qui fait ces lois !) ; en s’en prenant à cette automaticité, il joue sur du velours, mais, en fait, abuse et trompe l’opinion quant à ses intentions réelles. Surtout que la réforme ne serait pas rétroactive : c’est-à-dire que le système actuel qu’il critique continuerait à s’appliquer pendant de longues années… (ce qui ne simplifierait pas la gestion des détentions et le travail des responsables).
Philosophiquement, cette automaticité de l’octroi –quand bien même elle n’implique pas toujours, en fin de compte, l’automaticité du bénéfice-, est ruineuse pour le crédit de la sanction : c’est l’illustration même de ce « lyssenkisme » pénal qui, depuis plus d’un demi-siècle, a inspiré la législation.
Il est vrai aussi, comme le dit le garde des sceaux, que ce système a été dévoyé, pour la gestion des flux carcéraux ; mais, c’est moins, contrairement à ce qu’il affirme, en raison de cette automaticité en elle-même, que de l’ensemble du système d’érosion des peines, quelles que soient ses modalités (la caricature et le comble de sa perversité, c’est, comme on l’a vu, l’octroi massif d’une réduction pour « gages sérieux de réadaptation sociale » dans les centrales les plus dure vouées à accueillir les détenus présentant à cet égard les perspectives les plus mauvaises : « carotte » pour les faire patienter et assurer la paix dans les détentions…).
2°) La sanctuarisation accrue des avocats
Sans surprise et déjà annoncée avec la « Commission Mattéi » dont on a déjà dit ce qu’il fallait en penser.
Me Dupont-Moretti se montre plus que jamais avocat-ministre, au service de ses confrères.
Pour tenter de désamorcer une critique attendue, il précise que les mesures nouvelles de protection des cabinets et communications des avocats ne s’appliqueraient pas à celui qui serait suspecté d’avoir commis une infraction : mais, c’est déjà le cas ! La question, c’est qu’avec ces pare-feu supplémentaires, alors qu’ils sont déjà considérables, il sera plus difficile que jamais… d’établir qu’un avocat est impliqué dans la commission d’une infraction ! Et passez, muscade…
3°) L’encadrement des enquêtes préliminaires et l’introduction du contradictoire
Déjà commenté à propos de la « Commission Mattéi », il pourrait être regroupé avec la rubrique qui précède, car procédant du même souci corporatiste.
Limiter dans le temps les enquêtes est une absurdité, théorique et pratique : la manifestation de la vérité n’obéit pas aux oukases du législateur !
Y introduire du contradictoire est risquer de torpiller le travail des enquêteurs. Notre procédure est, à juste titre, construite sur la distinction d’une phase préalable « policière » laissant une certaine latitude aux enquêteurs –et, bien des affaires ne débouchent que grâce à ces investigations premières-, et, d’une phase « judiciaire », avec intervention de la défense : les mélanger signe la confusion théorique et garantit l’inefficacité pratique –pour le plus grand bénéfice des malfaiteurs (et… de leurs conseils).
4°) La procédure criminelle
On est dans le plus grand flou ; le ministre voudrait augmenter le nombre de jurés (?) et même… imposer la présence d’un avocat honoraire : extravagance dont on ne peut s’étonner de la part de l’avocat des avocats, qui va dans le sens d’autres projets que l’on a déjà commentés visant à leur permettre d’investir les formations de jugement ; à l’évidence, ce serait contraire à la Convention européenne des droits de l’homme et à la jurisprudence de la CEDH, par violation de l’exigence d’impartialité, qui se fonde sur les apparences : comment quelqu’un dont le métier aura été de défendre des parties en justice –et, sans doute, le plus souvent, des prévenus et accusés-, pourrait-il présenter les plus élémentaires apparences de l’impartialité ?!
5°) Filmer les audiences
Chassez la marotte, elle revient au galop… : pour qui a fondé une grande part de sa notoriété sur la présence médiatique, on ne peut s’en étonner. Il invoque un objectif purement pédagogique et jure ses grands dieux que toutes les précautions seraient prises pour éviter les dévoiements que l’on peut imaginer. On ne voit pas très bien, dans ce cas, pourquoi changer le droit actuel : on a déjà, de temps à autre, à la télévision, des émissions parfois fort bien faites qui permettent de se rendre compte du travail concret des magistrats.
On ne peut donc se déprendre du soupçon qu’il s’agit d’ouvrir la porte à une instrumentalisation de la vie judiciaire par ceux qui y trouveraient leur intérêt (y compris, le cas échéant, commercial ?...), en mettant le doigt dans un engrenage qui entraînerait rapidement bien plus loin (le cas échéant, par les réseaux sociaux, contre lesquels la puissance publique sera tout aussi désarmée qu’aujourd’hui…).
Mais, au-delà même des projets du ministre, on peut tout redouter des surenchères auxquelles la discussion de ce texte pourra donner lieu au Parlement (le cas échéant… à l’insu du plein gré de l’intéressé…), dans le climat d’hystérie que l’on connaît à l’heure actuelle de la part de certains vis-à-vis de la Justice et de ceux qui la servent.