Le Président Macron a confirmé, hier, son intention (non dépourvue, au demeurant, d’ambiguïtés) de supprimer l’E.N.A., mais, selon ses propres termes… « entre autres » : ce qui ne peut que relancer la rumeur insistante d’une volonté de supprimer aussi l’Ecole Nationale de la Magistrature.
On n’imagine que trop bien, en effet, les puissants lobbies de la haute fonction publique se mobiliser pour que leur institution emblématique ne soit pas seule à être offerte en scalp symbolique et démagogique aux furieux qu’anime la haine aveugle envers « les élites »… Avec, pour la circonstance, le renfort de certains milieux politiques qui persistent, imprégnés des vieux schémas d’une autre époque, à ne voir dans l’Ecole de Bordeaux qu’une « pépinière de juges rouges » -sans compter certains ténors du barreau, inconsolables des temps archaïques où leur profession avait, en pratique, la maîtrise de la formation des futurs magistrats, et/ou, anglophiles et américomaniaques inconditionnels, fascinés par le « modèle » anglo-saxon d’une magistrature issue du choix politique des gouvernants, voire de la compétition électorale…
Si le débat sur les conditions de recrutement et de formation des magistrats n’est pas illégitime en soi et peut toujours être rouvert, il serait aberrant de sacrifier ainsi une institution qui n’a jamais été en question dans le « grand débat », et, dont la problématique n’a à peu près rien de commun avec celle de l’E.N.A. ; il faut rappeler, notamment :
- Que l’accès à la Magistrature est très largement ouvert, et, que celui par le concours dit « étudiant » pour l’entrée à l’E.N.M., s’il est statistiquement majoritaire, coexiste avec de nombreuses autres voies, qui permettent l’intégration directe dans le corps, temporaire ou permanente, de personnes issues tant du secteur public que privé, avec des conditions extrêmement variées qui constituent un large sceptre de possibilités pour des gens aux parcours différents, qui assurent ainsi au corps une réelle diversité sociale.
- Qu’il n’existe absolument rien d’équivalent à un classement de sortie qui conditionnerait le reste de la carrière, avec l’accès à des « grands corps » privilégiés, comme à l’E.N.A. : le classement de sortie à l’E.N.M. a, à peu près, pour seule finalité concrète que de permettre aux auditeurs de choisir leur affectation géographique (et, encore, en pratique, est-il contourné par l’existence des conventions amiables de répartition des postes entre membres d’une même promotion…) ; s’il n’est pas défendu à des éléments de valeur de se distinguer dès l’Ecole, c’est, nécessairement sur le terrain, ensuite, qu’ils doivent faire leurs preuves, et, personne ne tire d’avantage quelconque de carrière de sa scolarité : faire ainsi une « fausse fenêtre » en prétendant répliquer pour l’E.N.M. les reproches que l’on peut, le cas échéant, faire à l’E.N.A., serait un contre-sens total confinant à l’absurde !
- Que l’E.N.A. donne vocation à des parcours et métiers très différenciés au sein du vaste appareil de l’Etat, alors que l’E.N.M. ne donne vocation qu’à… devenir magistrat judiciaire ! Même s’il existe un éventail de fonctions à la sortie, c’est le même cadre d’exercice, la même finalité, et, pour l’essentiel, les mêmes principes de méthode. L’E.N.M. n’est qu’une simple école d’application visant d’abord à préparer ceux qu’elle forme au stage qu’ils vont devoir effectuer et au cours duquel ils apprendront l’essentiel de leur métier, en leur donnant en même temps des éléments d’analyse et de réflexion sur les questions que peut poser l’exercice de la profession dans son environnement ; si rien n’est complètement neutre, et si, à certains moments, la formation a pu prendre un caractère idéologique plus ou moins orienté, c’est faire aussi injure aux personnes que de les croire dépourvues de tout sens critique et capacité de se faire leur opinion par elles-mêmes, surtout quand elles sont confrontées aux réalités du terrain : il serait donc très simpliste et bien éloigné de la réalité de croire qu’une telle scolarité peut représenter un « formatage », et, donner un « esprit de corps » aux intéressés, analogue à celui qui peut exister dans les hautes sphères de la fonction publique (plût au Ciel que la Magistrature, parfois, eût un peu plus d’ « esprit de corps », toute clivée qu’elle est à tant d’égards et caractérisée d’abord par l’individualisme de ses membres, n’en déplaise à des idées reçues trop souvent ressassées !).
- Que, s’il est question des « grands corps », avec la Magistrature, on n’est pas du tout dans la même échelle : ces « grands corps » ont de tout petits effectifs, qui permettent leur cohésion, et, les stratégies, individuelles et collectives, de carrière et de réseaux d’influence –rien à voir, par définition, avec un corps qui compte des milliers de personnes… Ce qui se reflète, aussi, dans la taille des promotions respectives de chaque école, changeant les données de la question.
On doit donc refuser très fermement tout amalgame entre les deux situations, et spécialement, condamner ce que l’on sent poindre dans le discours : une problématique qui se voudrait globale des « services publics », en ignorant la spécificité de la Magistrature, au risque d’y inclure la justice et ceux qui la servent, au mépris des exigences fondamentales de notre Etat de droit, qui ont leur assises dans la Constitution : l’institution judiciaire n’est pas un administration parmi les autres : c’est une « autorité » indépendante des pouvoirs exécutif et législatif, et, ses membres ne sont, juridiquement, pas des « fonctionnaires » ; aussi, vouloir intégrer leur formation dans quelques super grande école, comme l’idée semble en courir dans certains milieux, serait, en droit, parfaitement illégitime, et, en fait, aussi loufoque que le serait, par exemple, l’idée d’une formation unique pour les vétérinaires et les médecins…
L’A.P.M. appelle donc les magistrats et l’opinion à une extrême vigilance à cet égard, et, attend de la Chancellerie une clarification et des apaisements sans délai ni équvoque.