Après l’agression sauvage de deux surveillants par un détenu islamiste au sein d’une « unité de vie familiale » dans l’établissement de Condé-sur-Sarthe, le Premier Ministre, devant l’évidence, a lui-même reconnu une « défaillance ».
L’enquête dira ce qu’il en est exactement –et, tout donne à penser qu’en fait de « défaillances », elle risque d’en mettre de nombreuses en lumière ! -, mais, il faut remonter bien au-delà de cette tragique circonstance, car c’est toute une évolution qui est ici en cause.
En effet, s’il est illusoire d’espérer une sécurité absolue et sans faille, du moins l’institution pénitentiaire doit-elle pouvoir se donner tous les atouts pour maîtriser au maximum le potentiel de dangerosité des individus qui lui sont confiés ; or, depuis l’alternance politique de 1981, elle a été livrée aux ravages d’une idéologie anti-pénale et anti-carcérale (que symbolise bien le vote par le Syndicat de la magistrature –qui devait plus tard s’illustrer aussi par son mémorable « mur des cons »…-, lors d’un de ses congrès, d’une motion réclamant « l’abolition de la prison »…), autant que des niaises complaisances d’un pseudo-humanisme dévoyé, travaillé par la mauvaise conscience et la fuite devant la responsabilité, au mépris des réalités élémentaires, humaines et matérielles, du terrain ; d’où, dans un cas comme dans l’autre, une attitude typiquement « névrotique », qui veut en même temps une chose et son contraire et se refuse à assumer pleinement les exigences de sa position institutionnelle…
C’est ainsi qu’ont été peu à peu et systématiquement érodés, voire supprimés, les dispositifs, juridiques et pratiques les plus efficaces dont pouvait disposer l’administration pour faire face au risque –alors qu’après la scandaleuse évasion du criminel Mesrine, une politique très volontariste et dynamique, sans préjugés, avait été engagée ; on peut, entre autres, évoquer :
- La suppression des « Q.S.R » (quartiers de sécurité renforcée, pour condamnés) et la « dévitalisation » des « Q.P.G.S. » (quartiers de plus grande sécurité des maisons d’arrêt), qui combinaient, dans un cadre de précautions matérielles très poussées, une supériorité numérique écrasante du personnel, et, un régime d’isolement qui pouvait être très strict : c’était priver ce service public d’outils qui permettaient une vraie mise à l’écart des détenus jugés –par leur profil et/ou leurs antécédents ou comportements, fût-ce, au risque de choquer les âmes délicates et les consciences scrupuleuses de juristes, sur de simples suspicions, car il ne s’agissait pas d’attendre l’incident pour justifier une décision, mais, de l’anticiper et de le prévenir !-, inaptes à un régime de détention ordinaire (même en grande maison centrale pour les condamnés).
- La généralisation des parloirs sans dispositif de séparation, et, la création des « unités de vie familiale » (en clair : parloirs sexuels intimes) : elles ont ouvert des portes de vulnérabilité majeures, leur contrôle constituant une charge considérable pour les agents –confrontés, d’un autre côté, à l’accroissement continu de la population pénale et à toutes sortes de tâches et contraintes nouvelles-, qui a rapidement trouvé ses limites ; il est clair que c’est là le moyen –et, à grande échelle-, pour faire rentrer toutes sortes de choses interdites, y compris les plus dangereuses (et, alors que le contrôle par portiques et tunnels n’est pas sans faille).
- Les contraintes liées à la mise à l’isolement : elles se sont multipliées, rendant la gestion de la mesure excessivement lourde et la privant en partie de son intérêt ; alors qu’elle est l’une des principales clefs de la prévention des incidents –même si une étanchéité parfaite ne peut pas toujours être assurée avec le reste de la détention.
- Les obstacles mis aux fouilles : qui ont surenchéri sur les difficultés nées par ailleurs, se heurtant tant à des limites pratiques (charge de travail du personnel, pesanteur de la routine etc.), que juridiques ; à cet égard, si, même par rapport aux visiteurs, un contrôle est, en théorie possible, avec, en cas de refus de la personne, le droit de s’opposer à son entrée, le souci d’éviter les incidents peut dissuader de le pratiquer… : il est aberrant que, dans un milieu de haute sécurité comme la prison, on ne puisse disposer de moyens de contrainte aussi efficaces que ceux que l’on peut connaître, dans certains cas, en milieu libre !
- La mise en sommeil, longtemps, du renseignement pénitentiaire : s’il n’est pas réaliste de prétendre détecter à coup sûr les profils inquiétants, pas plus que de repérer toujours à temps, notamment, une radicalisation en cours, il est bien évident que tout ce qui peut contribuer à l’identification du risque est à développer au maximum –mais, encore faut-il que l’administration ait les coudées franches, ensuite, pour en tirer les conséquences.
- L’abandon progressif et à peu près généralisé, par le juge administratif, de sa jurisprudence sur les mesures d’ordre intérieur insusceptibles de recours contentieux, et, la pression des interprètes du droit constitutionnel ou conventionnel européen, qui ont, l’idéologie aidant, conduit à ouvrir des possibilités de contestation, interne et externe, de décisions des chefs d’établissement qui, auparavant, relevaient de leur seule appréciation (sous le contrôle de leur hiérarchie, et, le cas échéant, des autorités extérieures), sans recours ni même motivation –ce qui était l’une des plus fermes assises de leur autorité ; fondamentalement, par un renversement complet de la logique de la situation, le détenu n’est plus maintenant considéré comme, de principe, privé de sa liberté et des droits que cela implique, et, partant, à la disposition de l’administration, c’est, au contraire, l’administration qui, de principe, est privée de droits face au détenu… Certes, les textes prévoient, ici ou là, la possibilité, par exception, de faire échec à la règle de droit commun pour motif justifié, mais, par une pente à peu près inévitable et « naturelle », qui relève de la sociologie élémentaire des organisations, les responsables ne sont pas toujours très motivés pour le faire, exposés au risque d’être désavoués et de perdre le peu d’autorité qui leur est encore concédée…
Avec l’arrivée en masse de détenus fanatisés, qui ont une mentalité de combattants et sont plus ou moins indifférents au risque personnel qu’ils peuvent courir –et, dont les rangs risquent bientôt d’être démesurément grossis de « rapatriés » (si ce terme est bien adéquat pour ceux qui ont fait allégeance à une puissance étrangère…), du Moyen-Orient, si les pouvoirs publics étaient capables d’une décision aussi lourde de conséquences-, la restauration des conditions de la sécurité pénitentiaire est aujourd’hui un enjeu primordial pour notre pays –qui ne pourra pas se permettre la répétition de telles « défaillances » (d’autant qu’est à redouter la contagion de l’exemple…) : ce n’est que par une politique pénitentiaire authentiquement et agressivement « réactionnaire » que l’on y parviendra –en passant outre aux criailleries des milieux idéologiques qui ont permis cette dérive contemporaine, et, en sachant s’émanciper des tutelles supranationales, de l’Europe à l’ONU, toujours promptes à leur servir de relais.