Par sa décision 2020-799 du 26 mars 2020 sur « la loi organique d’urgence pour faire face à l’épidémie de Covid-19, » le Conseil Constitutionnel vient donc, dans une indifférence presque générale, de valider un texte adopté dans des conditions qui violaient, de manière flagrante, évidente et grossière, les règles de procédure prévues à l’article 46 de la Constitution : ce dernier exige, en effet, pour l’adoption d’une loi organique, un délai de 15 jours après son dépôt avant délibération au sein de la première assemblée saisie –or, en l’occurrence, le délai avait été de… 24h.
Pour ce faire, le Conseil se borne à évoquer « les circonstances particulières de l’espèce », -sans même les préciser !-, et, alors qu’aucune disposition du « bloc de constitutionnalité », pas plus que le moindre précédent dans sa jurisprudence, ne pouvait même simplement faire semblant de pouvoir servir de prétexte pour couvrir un tel manquement : une loi adoptée par le Parlement en violation de la procédure imposée par la Constitution ne peut être que censurée, et, cela ne souffre ni discussion ni contestation -on a vu, d’ailleurs, des dispositions législatives annulées pour des motifs de bien moindre gravité...
Le Conseil bafoue donc la Constitution dont il est le gardien, en trahissant, cyniquement, sa mission de la faire respecter.
De longue date, on avait pu dénoncer ses foucades, et, les libertés qu’il prenait dans l’interprétation des textes ; du moins, affectait-il de rattacher ses décisions à des normes de valeur constitutionnelle –quand bien même il lui arrivait, abusivement, de les inventer de toutes pièces…
Ici, la norme, c’est… l’absence de normes, les « circonstances particulières de l’espèce » ; on sait donc maintenant qu’au-dessus de la Constitution, dans ce que l’on ose plus appeler notre « Etat de droit », il y a désormais « les circonstances particulières »… Qu’il prenne fantaisie, par exemple, à un Président contaminé par le mauvais virus d’exemples étrangers de vouloir changer la loi fondamentale pour se maintenir en place au-delà du terme, il lui suffira de faire voter une révision en dehors de toute procédure régulière par un Parlement-croupion dévoué, en invoquant cette loi suprême des « circonstances particulières de l’espèce » -et, passez muscade !
Cette décision est d’autant plus scandaleuse et irresponsable que, d’une part, elle est tout à fait intéressée, la loi organique en question, en gelant les délais pour les Q.P.C., ayant pour but d’éviter un engorgement du Conseil –c’est donc son simple confort qu’il a choisi de privilégier ici… ; et, que, d’autre part, en sanctionnant la précipitation du Gouvernement (qui, au demeurant, ne se justifiait absolument pas : le respect du délai de 15 jours, pour un texte d’un seul article et très consensuel-, n’eût pas soulevé de difficultés sérieuses : il n’y avait tout de même pas une telle urgence en la matière…), il n’eût créé aucune situation particulièrement problématique : un nouveau texte eût pu contenir les dispositions propres au même résultat. Si le contexte est « particulier », avec l’actuelle épidémie, il n’y avait pas, de toutes façons, sur un sujet comme celui-ci, de contrainte des « circonstances » telle qu’elle justifiât une telle hâte du Gouvernement : que des pouvoirs publics cèdent à la panique est une chose –et, une faute-, que le juge suprême les couvrent est une forfaiture.
C’est pourquoi, si des membres du Conseil n’ont pas apporté leur voix à cette indignité, ils devraient en démissionner pour ne pas en partager l’opprobre, et, pour se désolidariser d’un aussi mauvais coup pour le crédit et l’autorité de l’institution.