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LE « RENVOI » DE M. DUPOND-MORETTI

Après la décision de la commission d’instruction de la Cour de Justice de la République (C.J.R.) de renvoyer Le prévenu Éric Dupond-Moretti devant la formation de jugement de cette même Cour pour « prise illégale d’intérêt », le maintien dans son poste de l’actuel garde des sceaux fait, plus que jamais, figure d’inacceptable incongruité et d’insulte à la plus élémentaire morale civique.

Ce n’est pas la présomption d’innocence qui est ici en cause : comme tout autre prévenu ou accusé, le ministre en bénéficiera tant qu’il n’aura pas été définitivement condamné ; mais, c’est là une situation tout à fait inédite et aberrante, car il ne s’agit pas ici d’un prévenu comme les autres : non seulement, déjà, parce qu’il est membre du Gouvernement -c’est-à-dire du pouvoir exécutif, alors qu’il va appartenir au pouvoir judiciaire de statuer sur son cas (et, d’abord, à la Cour de Cassation saisie de son pourvoi contre cette décision de renvoi), mais, plus encore, parce qu’il ne s’agit pas de n’importe quel ministre, puisque c’est celui qui a la charge de la Justice ; par rapport à la règle fondamentale et constitutionnelle de la séparation des pouvoirs, il y a là une évidente anomalie, avec cette confusion des rôles et des positions institutionnelles qui est grosse de toutes sortes d’effets pervers, au détriment, tant du crédit de l’exécutif que de celui de l’autorité judiciaire.

Et d’autant plus que les faits qui sont reprochés à l’ancien avocat touchent… à ses rapports conflictuels avec des magistrats : il est ainsi accusé d’avoir profité de ses fonctions ministérielles, dès son arrivée place Vendôme (à l’inverse du roi Louis XII voulant « oublier les offenses faites au duc d’Orléans » qu’il était avant son accession au trône), pour régler des comptes personnels et professionnels, en cherchant, par l’engagement de procédures disciplinaires, à discréditer et pénaliser des magistrats avec lesquels il avait pu avoir maille à partir ; lesquelles procédures, pour celles dont le Conseil Supérieur de la Magistrature a déjà eu à connaître, ont tourné au fiasco, avec le piteux abandon de la plupart des poursuites par l’accusation (sous les ordres de la Première ministre, à la place du titulaire du portefeuille, empêtré dans son passé professionnel… : ce qui était déjà une forme de désaveu de son collègue), quand une relaxe définitive n’a pas, d’ores et déjà, même, été prononcée…

En sorte que, en étant resté, depuis le début de la procédure devant la C.J.R. dans son poste ministériel (ou, en ayant été maintenu à celui-ci par la volonté du Président de la République et –il faut, en tout cas, juridiquement, le, supposer-, de ses Premiers ministres), M. Dupond-Moretti s’est trouvé et se trouve plus que jamais en situation objective de conflit d’intérêts : son intérêt personnel et politique de prévenu est de combattre ses juges et d’éviter à tout prix une condamnation, tandis que son devoir de ministre est de permettre à la Justice de fonctionner en toute indépendance et en toute sérénité.

Et, qui plus est, alors qu’il s’agit de quelqu’un qui, dans sa carrière d’avocat comme de ministre n’a cessé, par son agressivité à l’égard du corps des magistrats, de se mettre en position conflictuelle avec eux, tant collectivement qu’individuellement –ce qui faisait de sa nomination une espèce de provocation (comme l’eût été celle d’un antimilitariste notoire au ministère de la Défense –mais, bien entendu, aucun responsable ne s’y risquerait ! Ce genre d’avanie, c’est bon pour les magistrats…)..

Un récent article du Monde, le 1er octobre -outre la révélation du contenu absolument accablant du réquisitoire du Procureur général qui, sans surprise, a, de ce fait, été suivi par la commission d’instruction de la C.J.R.-, évoquait nombre d’incidents que l’avocat avait pu avoir avec divers magistrats (voire ses propres confrères…), témoignant de son mépris des personnes comme de l’institution qu’elles représentent, jusqu’au propos les plus grossiers… : il est de fait qu’il avait fait de l’invective et de la prise à partie des magistrats une sorte de système –souvent efficace devant des jurés populaires, plus facilement impressionnables et manipulables que des juges professionnels… (Le même article, au passage, mentionnait des pratiques singulières, comme la remise d’honoraires en espèces sur aire d’autoroute –annexe peu habituelle d’un cabinet d’avocat… : mais, c’est là un autre débat –ce genre de fait, cependant, ne peut être que de nature à susciter quelque perplexité chez les gens de justice, peu favorable au crédit de l’intéressé…).

Il en résulte que, quelle que soit la décision que peuvent et pourront prendre les magistrats à son égard, elle ne peut qu’être exposée à la polémique et à l’interprétation politique : et, c’est bien, manifestement, ce que cherche le ministre, qui, par ses propos devant ses juges lors de l’instruction, et, depuis son renvoi, ceux de son avocat : détourner l’attention du débat sur les faits qui lui sont reprochés pour plaider le procès politique, et, faire accroire aux jurés de l’opinion publique que ses juges ne voudraient que « mettre en cause sa légitimité », celle qu’il tient « du Président de la République et de la Première ministre » (manière aussi de pression sur ces derniers : c’est leur dire, en somme, « nos sorts sont liés, vous ne pouvez pas me lâcher »…. Faudrait-il en déduire que le ministre peut se croire tout permis et s’autoriser à commettre des infractions en toute impunité, sa « légitimité » présidentielle et primo-ministérielle passant celle de la loi et des juges qui ont à l’appliquer  ?...).

C’est là une attitude irresponsable, parfaitement indigne, dans un Etat de droit, de celui qui a l’honneur insigne d’être à la tête du seul ministère qui a le nom d’une vertu. Tous ceux qui sont, si peu que ce soit, attachés aux valeurs démocratiques, devraient, de tous les bords de la classe politique, se dresser pour imposer qu’il y soit mis fin sans délai : renvoyé devant ses juges, le ministre de la justice doit, aussi, être renvoyé à un statut de justiciable comme les autres.

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