Pendant la crise, le virus de l‘idéologie continue de faire rage : on a vu ainsi un collectif d’avocats (dont le Syndicat des avocats de France), de promoteurs de la cause des détenus (L’observatoire international des prisons), et, de magistrats (dont le Syndicat de la magistrature), appeler les pouvoirs publics à « permettre à un maximum de personnes de sortir immédiatement de ce vase clos » -entendons : les établissements pénitentiaires-, en utilisant tous les moyens possibles ; un autre collectif, composé, notamment, des mêmes SAF et S.M., à propos des centres de rétention pour étrangers, est allé encore plus loin en exigeant la «libération générale et inconditionnelle » (sic) de tous leurs occupants…
La routine, en somme, pour ces organisations dont l’hostilité viscérale à l’enfermement ne manque jamais une occasion de s’exprimer, en faisant flèche de tout bois (on rappellera que le S.M., lors d’un de ses congrès annuels, a voté l’abolition des prisons comme son objectif…).
Le prétexte avancé, cette fois, par ces pétitionnaires récidivistes, est la crise sanitaire : on invoque la surpopulation carcérale, la promiscuité, les conditions matérielles, le contexte potentiellement tendu né de la privation de contacts physiques extérieurs etc., etc.
Il importe cependant de ne pas perdre de vue que :
1°) Les décisions d’enfermement des intéressés –qui sont une forme de confinement, sont la conséquence de leur situation et de leur comportement ; elles sont totalement indépendantes du contexte sanitaire du moment et ne sauraient se régler sur lui.
2°) Dès lors que des mesures de confinement sont imposées à l’ensemble de la population, elles doivent aussi s’appliquer aux enfermés, mutatis mutandis : il serait extravagant qu’ayant enfreint la loi, ils pussent bénéficier à cet égard d’un statut plus favorable que ceux qui la respectent ! Pour ce qui est, en particulier de la privation des contacts avec l’extérieur, ce n’est qu’une mesure élémentaire de précaution, prise dans leur propre intérêt, pour limiter le risque qu’ils puissent être contaminés, et, que subissent aussi les personnes vivant en EPHAD –sans doute, pour la plupart, bien plus douloureusement. S’ils ne veulent pas le comprendre et l’accepter et qu’ils se mutinent, force devra rester aux représentants de l’ordre, et, les sanctions appropriées devront s’ensuivre : prôner une libération par peur de ce type de réaction, c’est capituler d’avance devant l’illégalité : si un avocat est libre de s’identifier aux plus mauvaises causes, pour un magistrat, c’est indigne et antinomique à sa fonction et aux valeurs qu’elle porte.
3°) Il appartient, bien entendu, à l’administration pénitentiaire d’assurer la sécurité des personnes qui lui sont confiées : or, dans ce cadre, les sources de contamination, une fois éliminés les visiteurs et intervenants extérieurs, ne peuvent être que les agents, les nouveaux arrivants, les avocats et, en cas de sortie, notamment pour comparaître en justice, les personnes avec qui les intéressés peuvent être en contact ; il appartient donc d’assurer une protection ad hoc adaptée à ces situations : ce n’est peut-être pas toujours simple, mais libérer au motif de la difficulté serait une inacceptable solution de facilité (il faut noter que le décès récent, en hôpital, d’un détenu qui avait été incarcéré –très peu de temps-, à Fresnes, montre que c’est parfaitement possible : détecté comme à risque -74 ans et diabétique-, il avait été testé positif et, selon la Chancellerie, n’a jamais été en contact avec d’autres détenus… : utiliser ce cas, comme on le voit faire dans les mêmes milieux, est un pur sophisme –« récupération » d’autant plus choquante que l‘on meurt aussi en milieu libre !). Il est, en tout cas, impératif que le personnel de l’A.P. soit doté de tous les moyens de protection utiles pour être préservé du risque de contamination, de lui-même et des détenus (masques, gants…).
4°) Des libérations pour motif lié au contexte sanitaire général seraient, de la part des magistrats qui se risqueraient à les prononcer, un véritable détournement de pouvoir et une illégalité : car cela ne rentre pas dans ceux que prévoient les textes pour autoriser des mesures d’inexécution, totale ou partielle, ou d’aménagement des peines –pour ne rien dire du cas des étrangers en centres de rétention ; de la part des gardiens de la loi, ce serait du plus fâcheux exemple !
5°) On peut, au demeurant, douter de leur intérêt pour ceux qu’elles viseraient : ils quitteraient un confinement pour un autre, et, pour ceux –fort nombreux-, qui sont en situation de fragilité et précarité, à divers égards, dans un contexte où les moindres démarches pour chercher un travail, un domicile, retrouver ses proches etc., se verraient compromises, cela risquerait plutôt d’être une pénalisation… Avec le risque –spécialement pour les étrangers en situation irrégulière-, qu’ils échappent à tout contrôle, bafouent le confinement, et, finalement, viennent grossir les rangs de la délinquance, en constituant, au surplus, des sources potentielles de contamination… On doit à cet égard, se souvenir comment les libérations massives (10 000 personnes) de l’été 1981, entre amnistie présidentielle et grâces collectives, ont été suivies d’une explosion des récidives (dans la Police et dans l’A.P., les agents les appelaient plaisamment « les badinters »…).
Alors que nos concitoyens sont frappés par la maladie, le stress psychologique et la menace d’une crise économique de très grande ampleur, une nouvelle grande « opération portes ouvertes » dans les prisons et centres de rétention, qui ajouterait à l‘insécurité ambiante, serait une grave responsabilité : on veut espérer que Mme Belloubet, dont la philosophie pénale ne la porte pas à une affinité particulière avec l’enfermement, saura, avec l’ensemble des pouvoirs publics, résister, malgré tout, à ces mauvaises sirènes.