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M. DARMANIN, UN MINISTRE DE PLUS POUR LA JUSTICE…

Troisième ministre à la justice en un an, M. Gérald Darmanin (qui a fait figure de second choix après l’éviction du -fort surprenant- premier titulaire pressenti pour le poste…), s’est, d’emblée, distingué par un activisme médiatique intense… Au risque d’enfoncer quelques portes déjà bien ouvertes ou, rançon de la dure loi du « scoop » quotidien, d’altérer son crédit par une trop grande profusion d’annonces…

UN GARDE MODELE ?

Le nouveau garde des sceaux a, rapidement, donné le la quant à ses vraies références et affinités profondes, en affirmant que, parmi ses (nombreux et divers) prédécesseurs, son « modèles » était… Robert Badinter ! Grosse œillade, d’évidence, à son camp politique et idéologique « progressiste » comme à ses « idiots utiles », depuis son ralliement de 2017 au président Macron.

Il n’est pas certain, au demeurant, que le « maître » en question se fût reconnu dans la tonalité « sécuritaire » du discours de son « disciple » autoproclamé… : nouvelle et caricaturale illustration d’un « en même temps » qui n’est que le masque de la confusion intellectuelle et morale ?... Ou de l’opportunisme bien compris ?

Le nouveau « concierge de la Place Vendôme » -comme l’écrivait plaisamment l’un de ceux qui ont occupé avant lui sa loge, Edgar Faure-, est peut-être trop jeune (ou insuffisamment informé de l’histoire de son ministère…), pour connaître le nom du prédécesseur presqu’immédiat de son « modèle » : celui d’Alain Peyrefitte.

Ce dernier n’avait pas tardé, en prenant la mesure des problèmes, de réaliser à quelles aberrations conduisait l’idéologie pénale dominante qui avait subrepticement investi les esprits et la législation à l’époque contemporaine : il avait dès lors tenté d’imprimer une inflexion décisive à cet égard, avec, en particulier :

- La loi « Sécurité et Liberté », qui rompait franchement avec l’évolution antérieure et visait, entre autres, à réduire la béance entre peine prononcée et peine exécutée ainsi qu’à favoriser la promptitude et la certitude de la réaction judiciaire au crime : celle-là même que ledit Badinter s’était empressé, avec la majorité issue de l’alternance de 1981, d’abroger et réviser ! Malgré quelques sursauts lors de nouvelles alternances, l’emprise de ce modèle pénal ravageur, procédant d’une idéologie foncièrement anti-pénale et anti-carcérale-, n’a cessé de s’affirmer depuis ; jusqu’à trouver ses expressions les plus caricaturales avec, notamment, Nicole Belloubet, le clone macroniste de Mme Taubira, et son successeur, Éric Dupond-Moretti, dont on ne peut oublier que leur collègue Darmanin aura été, au sein des mêmes gouvernements, totalement solidaire…

- Le lancement d’un programme de construction d’établissements pénitentiaires d’une ampleur sans précédent (12 000 places) -dont le même Badinter a interrompu la réalisation, pour ce qui n’avait encore pu être engagé ! Lourde responsabilité qui a sa part dans la dramatique insuffisance de capacité actuelle…

Si le nouveau ministre d’Etat voulait réellement rompre avec le « laxisme » dont se plaignent nos compatriotes, il eût été mieux inspiré de prendre un tel modèle, plutôt que celui de la continuité assumée dans l’erreur…

UN MINISTRE DE LA COM’ -ET AUSSI DE LA JUSTICE ?

Si l’on se gardera de reprocher au nouveau titulaire des sceaux une présence soutenue sur le terrain, qui a occupé la « trêve des confiseurs », on peut s’inquiéter de ses effets pervers.

D’abord, , dans la continuité de son action au ministère de l’Intérieur, M. Darmanin semble vouloir privilégier la « vitrine » pénale de l’institution judiciaire : or, pour être très visible et toucher à des enjeux de société majeurs, la dimension sécuritaire de la mission judiciaire ne doit pas occulter sa dimension « civile », au sens large, qui, quantitativement, est largement prédominante, et, qualitativement, pour se prêter moins aux délices et poisons de la « société du spectacle », n’en est pas moins essentielle pour la vie nationale, avec des enjeux, individuels et collectifs, de première grandeur.

Ensuite, parce que les personnels de la Justice et l’opinion sont trop habitués aux annonces mirobolantes non suivies d’effets concrets : il est plus facile de gérer les mots que les choses…

Personne, à cet égard, ne peut se tromper sur la gravité du contexte budgétaire de notre pays : si l’on peut, le cas échéant, se féliciter que ce ministère régalien, aujourd’hui au cœur des questions de société, ne soit pas confié, comme on l’a vu trop souvent, à un étranger au sérail politique ou à une personnalité de second plan en marge, sans appuis ni relais d’envergure, l’équation personnelle ne fait pas tout… Il faudra à M. Darmanin prouver qu’il est capable d’arracher, pour son département, des moyens substantiels en rapport avec ses ambitions -sinon, il s’exposera au discrédit : on ne fait pas impunément le rodomont…

On ne peut, pour le moment, se déprendre d’un certain scepticisme devant les principales premières annonces :

- Des établissements à sécurité « allégée », pour « courtes peines » et « détenus non dangereux » ? C’est une naïveté qui n’est pas d’aujourd’hui et qui ne manquera pas de se briser sur le mur des réalités… On a ainsi connu un garde des sceaux qui avait imaginé ouvrir de tels établissements… sur des barges, au milieu de l’eau, sur lesquelles on aurait empilé des baraques de chantiers… Outre la question de la situation et/ou de l’adaptation des locaux, comme celle des personnels à recruter, c’est oublier que l’incarcération ne concerne qu’une petite minorité de condamnés -et très souvent, lorsque les « alternatives » se sont révélées inefficaces-, et que ceux-ci sont rétifs, par définition, à la contrainte de confinement que représente la prison, même se voulant « légère »…

- L’isolement pour « les 100 plus gros narcotrafiquants » ? C’est une bonne intention, mais les capacités effectives d’isolement dans les établissements concernés rendent la chose fort complexe… Et la mesure apparaît un peu comme un simple et très insuffisant palliatif à la difficulté extrême à imposer la prohibition des téléphones portables… Outre que, par suite d’une fâcheuse évolution, réglementaire et jurisprudentielle, le cadre juridique d’une mise à l’isolement est très contraint…

- L’alourdissement des peines pour ceux qui menacent ou corrompent les serviteurs de la loi ? C’est un moyen facile de s’en faire applaudir… Mais, concrètement, l’arsenal législatif permet aux juridictions de sanctionner de tels faits à la mesure de leur gravité. Et, dans ce domaine comme dans la plupart des autres, les peines prononcées sont le plus souvent très en-deçà du maximum encouru ! il ne servirait donc à rien, en pratique, d’élever ce dernier… ; ce sont là des lois de pure posture et de communication (comme le serait la remise en cause de l’excuse de minorité, également évoquée : alors que la plupart du temps, les peines prononcées sont en dessous du plafond résultant de l’excuse !).

Enfin, M. Darmanin devra réaliser qu’un monde sépare la Place Vendôme et la Place Beauvau : on ne commande pas aux magistrats comme à des préfets ou à des policiers ! La séparation des pouvoirs et l’indépendance nécessaire de la Justice ne donnent pas à son ministre la même latitude… On veut espérer qu’il n’y a pas d’ambiguïté dans l’esprit de l’intéressé, si frustrant que cela puisse être pour lui.

A cet égard, si l’on peut attendre de la personnalité et des antécédents de l’actuel ministre de l’Intérieur, compte tenu des propos qu’il a pu tenir jusqu’ici, une plus grande cohérence entre ces deux maillons capitaux de la chaîne pénale -qu’on a vus, trop souvent, s’opposer dans un jeu de rôles stérile-, il ne faudrait pas que s’instaurât une concurrence et des surenchères dans la présence médiatique aux finalités étrangères au seul intérêt public…

La Justice jugera donc son ministre à ses œuvres.

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