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QUAND L’EUROPE DECONNECTE LA JUSTICE PENALE…

Les quatre arrêts rendus par la Chambre criminelle de la Cour de Cassation le 12 juillet dernier en matière d’accès par les services d’enquête et d’instruction aux données de connexion détenues par les opérateurs de services de télécommunications électroniques auront, s’il en est fait application effective, des conséquences catastrophiques pour la lutte contre les malfaiteurs, en même temps qu’ils pèseront très lourdement sur le fonctionnement de juridictions déjà à bout de souffle.

En effet, même avec le tempérament pratique des règles procédurales en vigueur relatives aux régime des nullités (et, spécialement, les conditions de recevabilité d’une demande et l’exigence d’un grief), les principes posés, en application de décisions aberrantes de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE), seront très dissuasives pour les magistrats et officiers de police judiciaire concernés, les conduisant à restreindre considérablement le recours à la recherche des adresses IP et des données de connexion et de localisation, alors qu’il s’agit là d’un outil extrêmement précieux et efficace, d’une utilisation très fréquente et qui a permis, jusqu’ici d’identifier et confondre d’innombrables auteurs d’infractions !

La Chambre criminelle, qui eût pu, en l’occurrence, par une transposition de la théorie des « baïonnettes intelligentes », résister au maximum à l’introduction dans sa jurisprudence des diktats de la CJUE, a choisi, au contraire, de s’en faire l’interprète passive –dans la ligne de la tradition des deux juridictions supérieures, judiciaire et administrative, de longue date instruments zélés de la vassalisation du droit national voulue par nos responsables politiques.

Or, la CJUE, obsédée par la protection de la vie privée des individus, bien plus que par le souci de la protection publique –alors que, sans sécurité, cette vie est d’abord privée… de liberté effective !-, n’admet la conservation et l’accès aux données (en dehors du cas –c’est bien le moins-, de menace grave, réelle et actuelle ou prévisible, pour la sécurité nationale) que s’agissant de « criminalité grave » et, qui plus est, de manière restreinte (pour une période temporaire et sous condition de stricte nécessité), avec l’exigence de la validation par un juge ou une autorité administrative indépendante –ce que, pour elle, ne saurait être le procureur français, tout magistrat qu’il soit…

En refusant, sous un prétexte fallacieux de posture idéologique flatteuse individualiste, à la police et à la justice de s’adapter pleinement aux conditions nouvelles de la vie moderne et aux moyens techniques de l’époque exploités par la délinquance, la CJUE fait ainsi preuve d’un esprit rétrograde borné : on peut se demander, si elle avait existé au début du siècle dernier, lorsque les criminels ont découvert les avantages de l’automobile, si elle n’eût pas imposé aux forces de l’ordre de ne les poursuivre qu’à cheval ou à bicyclette (sauf, peut-être, sur autorisation d’un juge et si ce fût vraiment nécessaire…) : fort heureusement, une France maitresse chez elle avait  eu un Clémenceau pour mettre sa police à armes égales avec les « bandits en auto »… 

A la racine, cette distinction du crime « grave » de celui qui ne le serait pas est une absurdité : « criminalité grave » est un pléonasme –à moins de considérer qu’il existerait une criminalité « bénigne », « douce », « cool » en somme… : ce qui en dit plus long que tout sur l’état d’esprit de ces juges de Luxembourg ; comme sur leur position « hors sol », déconnectée des réalités élémentaires du terrain : car ce n’est, évidemment, pas là un critère opérationnel : qui et comment pourra décider ce qui, dans la criminalité, est « grave » ou ne l’est pas ? Avec quelle légitimité ? Faudra-t-il que le législateur se donne le ridicule de dresser une liste des crimes « graves » et des crimes « pas graves » ?!

Quoi qu’il en soit, c’est là, à coup sûr, ouvrir un boulevard à toutes les contestations et à la jurisprudence la plus byzantine, incertaine et fluctuante… : c’est, potentiellement, un contentieux considérable qui est ainsi ouvert, avec le risque du « torpillage » des procédures, souvent depuis l’origine –au plus grand scandale de l’opinion et des victimes, outre le découragement des enquêteurs qui verront leurs efforts réduits à néant.

Mais ce n’est pas le seul impact sur la charge des juridictions : car, avec cette exigence de la décision d’un juge, là où celle du procureur suffisait, ce sera autant de dossiers supplémentaires à soumettre à un juge du siège comme celui de la liberté et de la détention…

Pour des tribunaux et des cours déjà embolisés, avec un manque criant de moyens, ce surcroît d’activité ne pouvait plus mal tomber…

Et, ô ironie, au moment où le Gouvernement clame son intention de « simplifier la procédure pénale » (avec, de la part du garde des sceaux, la force tranquille du cynisme, puisque, encore récemment, avec sa loi de « confiance dans la justice », il vient de la compliquer un peu plus…).

Ce, dans un contexte où les relations entre justice et police sont difficiles. A cet égard, la création de directeurs départementaux de la police, coiffant à la fois les enquêteurs de police judiciaire et les agents de sécurité publique, fait naître de fortes inquiétudes sur le maintien de services spécialisés en police judiciaire de haut niveau pour la criminalité la plus « grave »… : moins d’enquêteurs et moins de moyens juridiques pour eux, il y a là comme une cohérence : celle de gens pour qui la sécurité n’est pas une priorité de l’Etat.

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