L’annonce inopinée de la création d’un « tribunal criminel », qui récupèrerait plus de la moitié du contentieux des cours d’assises, n’a rien, en soi, d’une nouveauté : car, comme cela, semble avoir été oublié des médias, c’était l’objet -encore qu’avec des modalités différentes et une beaucoup plus grande cohérence-, d’un projet de loi déposé, quand il était garde des sceaux, entre 1995 et 1997, par Jacques Toubon ; or, à l’époque, les mêmes milieux intellectuels, journalistiques et politiques qui soutiennent l’actuelle majorité, avaient été vent debout contre le principe même d’une limitation du recours au jury –ce qui avait, finalement, conduit le ministre (qui, au demeurant ne faisait pas l’unanimité sur ce point dans son propre camp…) à renoncer ; on attend donc avec intérêt de connaître l’attitude, aujourd’hui, des mêmes milieux…. Plus anciennement, c’est Alain Peyrefitte qui avait tenté –sans plus de succès-, de dynamiser la procédure criminelle dans les affaires pouvant être considérées comme « élucidées » rapidement –ce qui, en fait, n’a rien de rare-, dans le but d’éviter des délais de procédure inutiles et bien des longues détentions provisoires sans intérêt.
En l’occurrence, l’idée d’une « expérimentation » de cette formule soulève d’emblée une sérieuse objection d’ordre constitutionnel : est-il vraiment concevable que l’on puisse, pour les mêmes faits, avec un enjeu aussi lourd qu’une peine de 20 ans de réclusion, avoir, à un moment donné, deux régimes procéduraux radicalement différents ? Tout porte à en douter, au regard d’un principe aussi fondamental de notre ordre juridique –affirmé dès la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789-, que celui de l’égalité devant la loi.
Sur le fond, on a un peu le sentiment que le projet s’inspire essentiellement de considérations d’ordre technocratique et budgétaire, bien plus que d’une réflexion approfondie sur la procédure criminelle elle-même. En particulier, le choix de prendre comme critère le seul quantum de la peine encourue, en ne prévoyant la garantie du jury qu’au-dessus de 20 ans, crée une distorsion entre justiciables, dont la logique échappe complètement (et, d’autant plus qu’avec les mécanismes de l’érosion des peines et le jeu de la période de sûreté, une peine de 30 ans ou de « perpétuité » peut, en pratique, déboucher sur une libération plus rapide qu’avec une peine de 20 ans : du fait de l’énorme discordance entre peine encourue et peine prononcée, d’une part, et, peine prononcée et peine effectivement exécutée, d’autre part, ce critère est passablement artificiel…).
Ce n’est pas à dire que la procédure criminelle doive être considérée comme intangible ; tout au contraire, contre les routines de pensée, elle appelle, pour une vraie modernisation de notre droit, et une adaptation aux réalités de de la criminalité moderne et de son environnement, des mutations profondes, allant bien au-delà de ce qui est envisagé ; et, notamment :
1°) A l’instar de ce que existe en matière correctionnelle avec la procédure de flagrance et les « circuits courts », de créer une procédure spéciale pour les faits où le principe même de la culpabilité ne soulève pas de difficulté, qu’elle soit indiscutablement flagrante et/ou reconnue sans équivoque dans des conditions offrant toutes garanties : il suffit d’imaginer, par exemple, les terroristes de Charlie Hebdo ou du Bataclan arrêtés les armes encore fumantes à la main et les cadavres de leurs victimes à leurs pieds : eût-il vraiment fallu, au bas mot, 4 ou 5 ans de procédure pour les déclarer coupables ?! Cela supposerait le découplage de la décision sur la culpabilité, et, de celle sur le quantum de la peine (intervenant plus tard, après investigations utiles).
2°) De faire de la cour d’assises, dans sa composition professionnelle (le président et ses assesseurs), complétée, le cas échéant, par des assesseurs non professionnels, une juridiction permanente, pouvant, précisément, gérer cette procédure spéciale, les incidents, la détention provisoire etc., en dehors des sessions avec le jury.
3°) De s’interroger sur les peines elles-mêmes attachées à certains faits : par démagogie, législation de circonstance et d’émotion, instrumentalisation de la loi à des fins de pure communication, et/ou, sous la pression de groupes d’influence, on a élevé parfois démesurément le quantum des peines encourues, et multiplié les cas relevant des assises (on peut, par exemple, se demander si –spécialement pour les victimes-, ce cadre écrasant est forcément le mieux adapté en matière d’infractions aux mœurs…).