img01

BREVES OBSERVATIONS SUR LE PROJET DE LOI S.U.R.E « visant à assurer une Sanction Utile, Rapide et Effective »

On doit, pour le moment, s’en tenir à la « note de présentation » diffusée par les services de M. Darmanin ; or, ce n’est là qu’un catalogue d’intentions : il faudra donc attendre un projet de loi rédigé pour pouvoir formuler une appréciation un tant soit peu approfondie.

A s’en tenir aux orientations affichées, on peut, d’ores et déjà, émettre les observations sommaires qui suivent :

Quant au diagnostic et à l’objectif poursuivi :

              On ne peut que partager le constat dressé sur la crise de notre système pénal, mais il est largement incomplet.

              1°) En effet, en premier lieu, si les maux décrits n’appellent pas de remarques, tant ils sont bien connus et évidents pour qui a la moindre approche pragmatique de la question, hors préjugés idéologiques, , les responsabilités ne doivent pas être occultées : à cet égard, s’il est parfaitement juste d’imputer la dérive « laxiste » de notre système non aux magistrats eux-mêmes, mais à ce système tel qu’il a été conçu et tel qu’il a pu dériver  à l’époque contemporaine, il ne faut pas oublier, d’une part, que certains magistrats y ont contribué parleur  positionnement idéologique et, d’autre part et surtout, que ce sont les gouvernants, de tout bord politique, à de rares exceptions près (comme celle du garde des sceaux Alain Peyrefitte, il y a près d’un demi-siècle…) qui ont, non seulement produit des monstres législatifs, mais ont, avec constance, adhéré à une philosophie qu’on hésite à dire « pénale », tant elle témoigne d’une réticence profonde à l’égard de l’idée même de peine –et, d’abord, de la plus haute depuis l’abolition de la peine de mort, l’incarcération-, c’est à dire, l’idéologie dite, par antiphrase, de la « défense sociale ».

              A cet égard, la majorité politique à laquelle s’est rattaché l’actuel ministre de la justice depuis 2017, n’a pas été en reste ! Et, si ,comme le dit l’Ecriture, « il y a plus de joie dans le Ciel pour un pécheur qui se repend que pour cent justes qui persévèrent », on peut s’interroger sur la sincérité d’un responsable qui, en la remettant en cause aujourd’hui, avait néanmoins pleinement assumé la solidarité gouvernementale avec son prédécesseur, Mme Belloubet -copie conforme, en moins flamboyante, de Mme Taubira-, quand, entre autres, elle poussait à des libérations massives de détenus et supprimait les courtes peines d’emprisonnement, en systématisant ces « aménagements » que le garde des sceaux dénonce maintenant…

                2°) En second lieu, si le projet, à juste titre, entend mettre fin à la modification de la sanction prononcée, dès le stade de sa mise à exécution, par le J.A.P., il ne dit rien de l’altération de la peine au cours de son exécution ultérieure. Or, c’est une cause essentielle du discrédit du système pénal et de la perte d’effectivité de la sanction que les possibilités, considérables dans les textes et très largement utilisées en pratique, non seulement de diminuer le quantum de la peine prononcée (réductions de peines -dont le total possible a été accru par M. Dupond-Moretti sans que l’on eût entendu son collègue de l’Intérieur protester…) mais de dénaturer le contenu ou la portées de la décision judiciaire initiale (comme avec une peine de prison qui va s’exécuter… en milieu libre…).

              C’est donc là une lacune majeure du projet, qui devra être corrigée : la note critique le divorce entre peine encourue, prononcée et exécutée, mais est loin d’aller au bout de ce constat pour y remédier.

Quant aux différentes mesures envisagées :

Article premier : supprimer la dispense et l’ajournement de peine

              Ce ne sont pas les mesures dites « d’individualisation » qui sont les plus critiquables ni les plus utilisées… Elles peuvent avoir un sens et une utilité dans certains cas : peut-être seraient-elles à mieux encadrer qu’à supprimer…

Article 2 : les dispositions relatives au sursis

              Elles sont passablement trompeuses

              La communication ministérielle s’articule autour de l’idée que les sursis devraient être réservés aux seuls délinquants primaires, pour des peines de deux ans au maximum et avec révocation « automatique » en cas de nouvelle infraction.

              L’objectif de rendre sa crédibilité à cet avertissement judiciaire est louable : la cause majeure de son discrédit et de son peu d’impact sur la population pénale tient au fait que la menace de révocation qu’il comporte est très incertaine et aléatoire : les dispenses de révocation sont très fréquentes.

              Cependant, en parfaite contradiction avec cet objectif, la note précise, dans une discrète parenthèse, que le juge pourra ne pas révoquer « par une décision expresse et motivée » : c’est une plaisanterie, car, dès lors, la révocation n’aura rien d’automatique et comme on l’a vu maintes fois (et notamment avec les prétendues « peines planchers », auxquelles le juge pouvait se soustraire, ce dont il ne s’est pas privé…), c’est là un virus qui privera cet avertissement d’une grande partie, comme à l’heure actuelle, de son effectivité.

              L’idée initiale de supprimer le sursis était aberrante : c’est une excellente mesure pour répondre à une délinquance d’occasion, accidentelle, qui ne se reproduira pas ; mais, pour avoir son efficacité, il est essentiel que la « règle du jeu » soit bien connue et appliquée : si l’on peut, le cas échéant, réfléchir à l’idée qu’une incarcération puisse, éventuellement, être remplacée par une autre sanction plus adaptée au moment où elle intervient, dans des conditions restrictives à définir, on ne peut transiger sur cette notion d’automaticité (et il faut espérer que le Conseil Constitutionnel, qui se dit si attaché à la « tradition républicaine », l’accepte, en revenant à l’esprit initial de la « loi Béranger » qui l’avait créé…).

              La limitation aux peines de deux ans au maximum n’est pas absurde en soi, mais, peut avoir l’effet pervers de pousser à prononcer une autre peine que l’incarcération (serait-ce, en réalité, le but recherché ? ...).

Article 3 : diverses dispositions pour éviter la dénaturation de la peine par le JAP au stade de la mise à exécution

              Elles sont, évidemment, bienvenues : il est aberrant qu’une juridiction, au terme de toute une procédure, arrive à la conclusion que l’infraction mérite une certaine nature et un certain quantum de peine, et, qu’aussitôt, une autre autorité, presqu’en catimini, transforme cette décision dans sa réalité concrète ; c’est comme cela, par exemple, qu’une peine de prison jusqu’à un an ferme (ce qui, dans la pratique des tribunaux, est déjà une peine élevée…), devienne un simple confinement à domicile, ce qui n’a, évidement, rien de commun, en termes d’intensité de la sanction, tant pour celui qui la subit que pour l’opinion…

              Cependant, ne serait-ce pas un leurre ? Car, s’il est plus sain et légitime que l’aménagement soit décidé directement par le tribunal, c’est le principe même de l’aménagement qui est discutable : à quoi sert-il de prononcer une peine de prion si elle doit être « aménagée » en confinement domiciliaire ?! Autant prononcer directement ce confinement à titre de peine principale… On ne changera pas grand-chose à la situation actuelle que dénonce pourtant la note ministérielle, si on maintient la discordance entre la peine nominale et sa réalité effective… : une peine d’emprisonnement signifie et doit impliquer un emprisonnement -et si la juridiction n’en veut pas, elle doit prononcer directement une autre peine !

              On peut d’autant plus, alors, s’interroger sur le quantum de deux ans permettant un aménagement direct par le tribunal.

              En revanche, on ne peut qu’approuver l’absence d’aménagement pour un étranger interdit du territoire : le seul « aménagement » doit être… celui de son départ imposé du territoire !

 Article 4 : rétablir les peines inférieures à un mois

              Mme Belloubet -et, avec elle, le Président Macron-, assumera-t-elle ce choix qui la désavoue de manière aussi flagrante ?...

Article 5 : permettre des mandats d’arrêt sans restriction en fonction du quantum de peine

               On notera seulement une évidente faute d’orthographe : « prononcer » là où on a manifestement voulu dire « prononcé » -ce qui témoigne d’une certaine hâte et d’une relecture insuffisante…

 Article 6 : peine de jour-amende sanctionnée par une incarcération

              On veut bien admettre que cette peine soit « vertueuse », mais sa crédibilité repose sur l’effectivité de cette sanction en cas de non-paiement : on ne sait pas, à ce stade, ce qui va garantir cette effectivité… Une automaticité ? On en doute : elle serait dans la logique du dispositif mais peut-être trop drastique (est-on prêt à ressusciter la prison pour dette ? ...).

Article 7 : rétablir le critère du trouble à l’ordre public pour la détention provisoire

              Il était dénoncé par beaucoup comme une trop grande facilité donnée au juge pour éviter de détailler les motifs d’une détention provisoire -et, de fait, il y en a eu des abus, avec des motivations du genre « attendu que les faits sont graves et qu’ils ont troublé l’ordre public »… Par définition, toute infraction cause un trouble à l’ordre public ! Si l’on exige une notion plus précise, elle sera forcément délicate à définir et à manier : l’ordre dans la rue (manifestations…, comme le voulait Faustin Hélie au 19e siècle) ? voire le retentissement médiatique, l’émotion dans le public… (mais cette soumission à l’opinion peut être fustigée avec les mots de Moro-Giafferi…) ?... Le risque, dans les débats est celui d’une définition de ce critère en forme d’ « usine à gaz », ouvrant la porte à des contentieux et annulations de procédure…

              En fait, depuis sa suppression, les magistrats ont pu quand même pallier l’absence de cette commodité (on arrive toujours à motiver une décision bien fondée…).

Article 8 : une habilitation par ordonnance pour refondre l’échelle des peines et instituer des peines planchers

              C’est une bonne orientation, mais on ne peut se déprendre de l’idée que c’est là un moyen d’esquiver, voire de renvoyer aux calendes grecques cette nécessaire réforme… En tout cas, d’éviter d’aborder de front la difficulté de restaurer des peines planchers qui, comme on l’a dit, étaient compromises dès le départ -puisque le plancher n’en était pas vraiment un, pouvant être escamoté par le juge…-, et qui, sans nul doute, conduiraient à de durs débats au Parlement, la composante « progressiste » du « bloc central » qui tient lieu de majorité aujourd’hui ayant, sous la présidence Hollande, consommé leur mise à mort pour cause de déviance idéologique… 

              La formulation de cette refonte est bizarre, pour ne pas dire amphigourique : que signifie une « modulation pour aboutir à une véritable individualisation de la peine dans son exécution » ?... On attend le décodeur…

Article 9 : procédure criminelle (jugement des crimes « reconnus » et audience « restaurative »)

              La création d’une procédure symétrique à celle, en matière correctionnelle, de reconnaissance préalable de culpabilité est, en soi, une bonne chose, pour éviter d’encombrer le rôle des juridictions criminelles avec des faits suffisamment établis.

              Cependant, les modalités appellent des réserves importantes :

                            - Subordonner le recours à cette procédure à l’accord de la victime, n’est pas légitime et risque d’amoindrir sensiblement l’impact pratique qu’on pourrait en attendre ; d’autant plus qu’il s’agirait, bien souvent, d’affaires de mœurs et l’on peut craindre une forte pression d’organismes militants pour inciter les victimes à refuser…

                            - Prévoir une limitation de la peine aux 2/3 de celle normalement encourue est pragmatique : c’est la « carotte » et, sans le dire, le moyen d’une négociation derrière le paravent entre défense et parquet, à l’américaine ; ce n’est pas choquant en soi (d’autant qu’en pratique, en dehors des faits les plus graves, les peines, souvent, ne sont pas supérieures à ce seuil…), mais, avec l’accord de la victime, c’est entrer dans la voie très discutable d’une négociation à trois sur la peine.

                            - On ne voit pas ce que vient faire ici cette notion de « justice restaurative », concession déplacée à une idée à la mode (mais pas dans les milieux les plus attachés à une répression juste mais ferme…). Il serait aberrant de le prévois obligatoirement : ce n’est pas parce qu’un criminel avoue son crime (devant l’évidence des faits, la charge des preuves ou pour la « carotte » précitée…) qu’il serait psychologiquement prêt à une telle démarche ! C’est de l’ordre du gadget de communication.

              Il faut, en fait, aller beaucoup plus loin -comme l’avait prévu en son temps Alain Peyrefitte, avec sa loi « Sécurité et Liberté »-, en prévoyant une procédure simple pour les affaires élucidées, avec reconnaissance ou non -et, d’abord, pour les crimes flagrants (pris les armes à la main, couverts du sans de leurs victimes, les auteurs de l’attentat du Bataclan seraient peut-être encore des « présumés innocents », non définitivement condamnés et qui pourraient faire condamner en justice ceux qui les présenteraient comme coupables…) ; il faut donc une procédure de comparution immédiate (avec, évidemment, les aménagements techniques dont ce n’est pas le lieu de discuter ici) pour les crimes, pour, au moins, avoir rapidement, une déclaration de culpabilité, quitte à différer un peu le prononcé de la peine.

Article 10 : formations de jugement criminelles

              L’extension de la compétence des cours criminelles départementales aux causes d’appel et à la récidive est dans la logique d’une institution qui visait à éviter le recours à la procédure longue et lourde des assises. En cela, c’est une piste qui mérite d’être étudiée. Mais l’absence de jury soulèvera sans doute des débats…

              La délocalisation dans des tribunaux non sièges de cour d’assises, comme l’assouplissement des conditions pour siéger dans ces juridictions ou les présider peuvent être des réponses pragmatiques aux difficultés d’effectifs ; en revanche, l’idée de remplacer les magistrats par… des avocats « juridictionnels » ne peut soulever que la plus grande perplexité… On peut, en revanche, admettre de fixer à un an le délai de comparution ou le caractère conclusif et définitif de la réunion préparatoire.

*

*         *

On est donc, dans l’ensemble, loin d’une vraie « révolution pénale », comme revendiqué par le ministre, même en faisant sa part à l’emphase sémantique habituelle dans ce genre de communication politique…

Certes, des inflexions se dessinent à rebours d’une évolution contemporaine inspirée par une philosophie de l’ « individualisation » devenue folle : ce qui, comme des premières réactions le montrent, fait figure de provocation à l’égard des tenants d’un modèle pénal dépassé dont la nocivité face à l’explosion de la criminalité à notre époque n’est plus à démontrer ; mais ce n’est pas sans ambiguïtés, M. Darmanin, tout en affectant de donner un caractère « sécuritaire » à son propos, ne dissimulant pas son désir de limiter, en fait, le recours à la prison -qui, qu’on le veuille ou non, reste la sanction la plus intimidante pour les délinquants.

Il est à craindre, quoiqu’il en soit, que ces inflexions ne se heurtent, au final, à la résistance du Conseil Constitutionnel, bastion du conservatisme pénal le plus rétrograde, comme il n’a cessé de le montrer encore ces derniers temps, lui qui a érigé, dans sa fantaisie créatrice, cette idéologie de l’ « individualisation » en principe fondamental intégré au bloc de constitutionnalité : il ne restera alors peut-être de ce projet, pour l’essentiel, qu’un exercice de communication de circonstance…

Dernières publications

Adhérez à l'APM

RGPD

Paramétrages de cookies

×

Cookies fonctionnels

Ce site utilise des cookies pour assurer son bon fonctionnement et ne peuvent pas être désactivés de nos systèmes. Nous ne les utilisons pas à des fins publicitaires. Si ces cookies sont bloqués, certaines parties du site ne pourront pas fonctionner.

Mesure d"'"audience

Ce site utilise des cookies de mesure et d’analyse d’audience, tels que Google Analytics et Google Ads, afin d’évaluer et d’améliorer notre site internet.

Contenus interactifs

Ce site utilise des composants tiers, tels que ReCAPTCHA, Google Maps, MailChimp ou Calameo, qui peuvent déposer des cookies sur votre machine. Si vous décider de bloquer un composant, le contenu ne s’affichera pas

Réseaux sociaux/Vidéos

Des plug-ins de réseaux sociaux et de vidéos, qui exploitent des cookies, sont présents sur ce site web. Ils permettent d’améliorer la convivialité et la promotion du site grâce à différentes interactions sociales.

Session

Veuillez vous connecter pour voir vos activités "!"

Autres cookies

Ce site web utilise un certain nombre de cookies pour gérer, par exemple, les sessions utilisateurs.

Please publish modules in offcanvas position.