Le ministre de la Justice, dans une épitre adressée aux magistrats et agents de son département, annonce tout en programme de réformes, en prévenant d’emblée, qu’il ne s’agit pas d’un énième « grand plan »…
Cependant, quand bien même il éviterait l’enflure verbale coutumière à l’exercice qui a ridiculisé tant de ses prédécesseurs, dont les montagnes sémantiques n’ont guère accouché que de modestes souris, il s’agit bien de mesures d’importance -dont certaines plutôt bienvenues mais dont la faisabilité concrète reste à démontrer…
On les détaillera ci-après ; sans s’attarder sur les flatteries et amabilités à l’intention des destinataires dont la missive est émaillée : c’est un peu la loi du genre et si l’on n’a pas motif de les bouder, on ne peut cependant en être dupe…
1/ « Simplifier la justice civile »
1°) Imposer une phase amiable pour certains contentieux
C’est la sempiternelle illusion de réformateurs en chambre qui ont déjà sévi et qui veulent ignorer certaines réalités de la vie judiciaire :
- Les justiciables et, d’abord, les avocats qui les assistent, n’ont pas, chez nous, en général, une culture de négociation et de compromis : quand un contentieux est suffisamment cristallisé au point, pour une partie, sinon les deux, de vouloir recourir à la Justice, les chances d’un règlement amiable sans, au moins, une première décision (ne serait-ce que pour avoir une expertise) sont réduites ; c’est particulièrement vrai dans certains contentieux à haute densité émotionnelle, comme en matière familiale. Aussi, une telle phase préalable en vue d’une hypothétique conciliation ne peut que retarder encore plus la procédure dans la très grande majorité des cas…
- C’est un lieu commun que de dénoncer la lenteur de la Justice -et, à juste titre. Cependant, en matière civile, le procès est « la chose des parties » (et donc, concrètement, de leurs avocats) et toutes les parties n’ont pas forcément intérêt à l’accélération de l’instance -et, souvent, bien au contraire ! Notamment, discipliner les avocats dans la mise en état -alors qu’ils ont aussi, en dehors même d’une éventuelle volonté dilatoire, leurs propres contraintes, qui ne sont pas aisées à gérer, est un exercice qui trouve ses limites, aussi bien dans les textes, s’ils sont trop drastiques (risque d’annulation par la justice administrative s’ils sont réglementaires, par le Conseil constitutionnel, s’ils sont législatifs…), que dans la pratique qui peut en être faite et qui oblige souvent à des concessions au principe de réalité…
- En dehors des contentieux à forte densité émotionnelle, avec l’acharnement qu’ils peuvent comporter, bien des affaires qui connaissent de longs délais sont celles où une dimension technique conditionne leur solution, ce qui suppose le recours à expertise, avec toutes les conséquences en termes de temps (durée propre nécessaire, discussion, contestation éventuelle et contre-expertise etc.).
2°) Mettre le coût du procès à la charge de la partie perdante
C’est le type même de la fausse bonne idée, passablement démagogique car qui peut, d’emblée, séduire l’opinion mais qui appelle de fortes objections :
- On n’est pas coupable parce qu’on a perdu son procès et subir ainsi une « double peine » peut être très injuste !... Perdre au final ne signifie pas nécessairement que l’on a eu tort d’engager un contentieux ou de se défendre et que l’on doit donc en être ainsi sanctionné. Outre que l’application du droit peut être délicate (et, surtout, avec des textes mal pensés et, encore plus, mal rédigés, comme c’est si souvent le cas…), et la solution d’un litige, difficilement prévisible, le droit de s’adresser à un juge est fondamental et ne doit pas se voir dissuadé par une telle mesure.
- S’il est bon de sanctionner une résistance manifestement abusive et des manœuvres purement dilatoires, cela ne peut se faire qu’avec beaucoup de prudence. Or, les textes actuels le permettent dans une certaine mesure ; on peut réfléchir à les renforcer mais sans aller jusqu’à une formule aussi radicale.
3°) Déjudiciariser certains contentieux
Ce n’est pas une idée nouvelle : l’A.P.M. le réclame depuis les années 1980… Jacques Toubon avait lancé une mission en ce sens -malheureusement interrompue par une dissolution intempestive en 1997…
Il ne faudrait pas, dans cette optique, se limiter, comme semble le faire le ministre, à l’adoption simple ou les successions…
A cet égard, le recours au notariat s’imposerait tout naturellement, mais on peut craindre que le Barreau ne veuille s’approprier ce marché… : la Chancellerie saura-t-elle résister à sa pression ?...
4°) Instaurer un mécanisme de filtrage en appel
C’est, là aussi, une demande de l’A.P.M. depuis les années 1980…
S’il ne s’agit pas de se calquer sur le droit anglo-saxon où une telle mesure s’explique par le culte du précédent qui caractérise la Common law, la question ne doit plus être un tabou, malgré la résistance attendue du Barreau…
2/ « Faciliter l’accès à la Justice »
L’objectif est sans doute très consensuel et ce discours sans grands risques…
M. Darmanin semble se polariser sur la dématérialisation et la numérisation des procédures : c’est un objectif souhaitable et, de toute façon, à terme, incontournable. Cependant, si le ministre se félicite de sa réussite dans le domaine de l’impôt, force est de constater qu’un nombre non négligeable de contribuables sont restés, par choix ou par nécessité, rétifs à la numérisation : il en ira de même avec la Justice et les intéressés ne doivent pas être sacrifiés sur l’autel de la modernité…
3/ « Réformer l’audiencement criminel »
On ne peut qu’approuver l’objectif ; en rappelant que le déjà lointain prédécesseur de M ; Darmanin, Alain Peyrefitte, il y a presque un demi-siècle, avait porté une réforme essentielle qui permettait de faire juger plus simplement et rapidement les affaires criminelles sans difficultés, que son successeur Badinter, après l’alternance politique de 1981, avait stupidement expédiée à la poubelle… Le sujet est donc à remettre sur le chantier ; à cet égard, ce qui est proposé est insuffisant :
1°) Créer une procédure sur reconnaissance de culpabilité
C’est une bonne orientation mais sa mise en œuvre sera délicate : s’il va de soi que la place de la victime et les droits de la défense doivent être « garantis », il faut prendre garde au risque de dérive vers une formule à l’américaine, où la fixation de la peine, en échange d’un aveu (c’est Outre-Atlantique -et non en France comme des militants ou des ignares ne cessent de l’affirmer…-, que l’on a la « religion de l’aveu », puisque c’est celui-ci qui, là-bas, conditionne la procédure…), ferait l’objet d’une négociation, où la partie civile et la défense participeraient très officiellement à la décision (en tout cas, avant l’intervention du juge à qui celle-ci serait proposée) ; on risquerait, au nom du pragmatisme, d’aboutir à des condamnations trop modérées choquantes… Il est, spécialement, à craindre que l’aveu ne s’accompagne, dans les textes, en vue d’y inciter, d’une « prime », une limite à la peine possible, qui pourrait conduire à des situations mal comprises des victimes et de l’opinion…
Il est à craindre une levée de boucliers de la part du Barreau et de juristes trop classiques ou conformistes… Comme de certains groupes de pression militants (notamment, dans le domaine des atteintes aux mœurs), qui se diront frustrés d’une audience… (or, si l’on doit en avoir une de manière analogue à celle qui existe aujourd’hui devant tribunaux criminels ou cours d’assises, où sera l’intérêt pratique d’une telle procédure ?!...). Le ministre et sa majorité auront-ils les moyens et la volonté de ne pas céder ?
En tout état de cause, cela imposerait une réforme très substantielle de la procédure, avec, l’institution d’une juridiction criminelle permanente, sans jury -au demeurant très souhaitable et, notamment, pour une autre réforme à faire.
2°) Une occasion à saisir pour aller plus loin et, en particulier, créer une procédure de flagrance en matière criminelle
Il ne faut pas se borner aux affaires où la culpabilité serait reconnue, mais prévoir aussi une procédure particulière pour les cas où le crime est flagrant (ce qui, entre autres, peut se voir en matière terroriste), afin qu’une déclaration de culpabilité puisse, sans préjudice des droits de la défense et de la partie civile, intervenir le plus tôt possible (quitte à prendre un peu de recul pour la fixation de la peine et la détermination de la réparation).
4/ « Clarifier les peines »
Il s’agit, en fait, derrière cet objectif, en lui-même satisfaisant, de bien plus que cela et de bien plus critiquable… :
1°) Ramener les peines à 4 catégories
C’est, en partie, illusoire car la dernière catégorie, celle de l’interdiction ou obligation, est précisément celle qui, par ses nombreuses modalités actuelles (à combiner avec le reste) est à l’origine de l’inflation que dénonce le ministre -mais que l’on doit très largement à la famille idéologique qu’il a choisi de rejoindre (alors, au demeurant, que sa famille d’origine n’est pas plus exempte de reproches à cet égard…). Mais si un, véritable effort de simplification et rationalisation peut être vraiment fait, il sera le bienvenu.
2°) Privilégier le recours à la probation et l’amende ?
C’est le retour à Mme Taubira ! Et c’est faire semblant d’ignorer que, dans les faits, c’est déjà le cas : on invite le ministre à lire les statistiques de ses propres services qui montrent bien que le recours à la prison ferme est déjà largement minoritaire (et les études, comme celle réalisée récemment dans le cadre de l’Institut Pour la Justice, établissent que, dans ce cas, pour les infractions les plus communes, l’écart avec la peine encouru est massif et ruineux pour le crédit de la sanction…).
Ces peines, tant dans l’esprit de l’opinion publique, des victimes et, d’abord, des délinquants eux-mêmes, n’ont absolument pas la même crédibilité, en tant que sanctions, que la prison, le même impact ou le même caractère dissuasif.
C’est une manifestation d’un souci de limiter le recours à la prison que l’on va retrouver avec d’autres propositions.
3) Prévoir, en contrepartie, une incarcération « immédiate » en cas de « violation » de ces deux peines « privilégiées »
On ne peut qu’exprimer le plus grand scepticisme sur la faisabilité juridique et pratique de cette proposition ! En rappelant que c’est déjà le principe pour les peines assorties du sursis mais que, par suite de la prohibition des peines automatiques, il existe des échappatoires, que l’on retrouvera immanquablement ici…
C’est d’autant plus irréaliste si l’on considère les moyens dont disposent les personnels affectés au contrôle de ces mesures et, en particulier, de la probation (sans même évoquer un état d’esprit trop souvent hostile, par principe, à la prison et à la répression pénale…).
C’est donc une « ‘fausse fenêtre » à l’effondrement de la répression pénale annoncé -que la mesure suivante ne tempèrera pas.
4°) Des « seuils minimaux » pour ces peines
Les « peines planchers » sont de retour… C’est une bonne orientation mais qui ne manquera pas de se heurter aux mêmes obstacles que celles instituées sous la présidence Sarkozy et balayées par son successeur et sa ministre, la même Mme Taubira.
Le plancher était en effet « troué », puisque, par crainte d’une censure constitutionnelle, le juge pouvait s’en affranchir -ce que, par militantisme (il faut rappeler que le Syndicat de la magistrature avait appelé à résister à ce texte) ou pour d’autres motifs, il ne s’était pas privé.
On ne peut donc, là encore, qu’être sceptique sur la concrétisation de cette bonne intention…
5¨) Une lacune majeure : rien sur l’application des peines de prison !
Une source capitale de la perte de crédit du système pénal est la béance, juridique et pratique, entre la peine prononcée et la peine effectivement exécutée : M. Darmanin ne dit rien à ce sujet : c’est donc qu’il entend faire perdure ce système venu de la planère Shadock, où alors que des gens de justice se sont donnés beaucoup de mal à fixer une peine, d’autres s’en donnent bien moins pour, derrière, remettre en cause, dans une mesure qui peut être considérable -et aggravée par M. Dumond-Moretti-, cette décision initiale…
C’est, dans son genre, une forme de « clarification » : on ne changera rien !
5/ « Améliorer le recours aux saisies et confiscations et faire contribuer aux frais de justice »
Le principe n’appelle pas d’objections mais, sa mise en œuvre n’est pas aussi simple, en pratique, que semble le croire ou le faire croire à l’opinion, le garde des sceaux…
S’agissant des confiscations, ce n’est pas une question de « formation » des magistrats, comme il le suggère : les obstacles juridiques et pratiques ne sont pas minces ; et, au demeurant, les résultats sont à l’heure actuelle fort appréciables – mais tant mieux si on peut encore les améliorer.
S’agissant du remboursement des frais d’enquête, c’est une question fort complexe (les évaluer, les recouvrer…) et l’on ne peut se déprendre d’un certain scepticisme…
6/ « Repenser la prison et lutter contre la surpopulation carcérale »
Sans s’attarder sur les rumeurs qui font état d’une « opération portes ouvertes », à la manière de Mme Belloubet lors de la Covid (dont la responsabilité devant l’opinion, incomberait aux magistrats, puisqu’il n’y a plus de grâces présidentielles générales), on a le sentiment que la Chancellerie, sans doute inquiète de l’accroissement du nombre des détenus et du risque d’éventuelles émeutes, se donne pour priorité de lutter contre ce qu’elle appelle « surpopulation carcérale » -ce qui suggère qu’il y aurait des gens en trop dans les prisons, alors que le problème, c’est bien plutôt qu’il n’y a pas assez de places pour les accueillir dans de meilleures conditions… : l’anomalie n’est pas que la justice envoie « trop » de gens en détention, mais que l’administration compétente a un déficit de moyens pour répondre aux besoins…
La « différenciation » des établissements n’est pas, en soi, une réponse :
- D’abord, elle n’a rien d’une nouveauté, car elle est inscrite dans les textes et c’était l’axe majeur de la réforme de 1975 (altérée à partir de 1981 par la suppression, sous Badinter, des quartiers de sécurité renforcés, qui avaient pour rôle d’exclure temporairement les gens les plus dangereux des détentions ordinaires, que l’actuel ministre veut ressusciter en quelque sorte…).
- Ensuite, la construction d’établissements qui se veulent à sécurité allégée n’ a rien d’une recette-miracle et elle trouve ses limites : pour celui qui n’accepte pas la contrainte de confinement carcéral, la tentation de l’évasion sera d’autant plus forte que le cadre n’offrira pas suffisamment d’obstacles au passage à l’acre (et l’expérience atteste qu’elle n’est même pas toujours sensible à la relative proximité de la sortie…).
- Enfin, l’augmentation des places en semi-liberté ne tient pas compte, d’une part, que les possibilités de travail extérieur ne se plient pas aux désirs de l’administration pénitentiaire de soulager le service de ses agents, et, d’autre part, que c’est un régime bien plus dur qu’il en a l’air, supposant, pour le « bénéficiaire » une solide structure psychologique pour résister à la tentation de s’enfuir… Les mêmes contraintes, économiques et psychologiques, pèsent sur le travail d’intérêt général, mutatis mutandis : en sorte que ce ne peut être là que des palliatifs marginaux à la suroccupation des locaux…
L’évocation de prochains « états généraux de l’insertion et de la probation », en vue de « nombreux changements » montre clairement que la priorité du ministre est en direction du milieu ouvert : celui-ci a sa place et son utilité, mais, sous l’angle de la répression pénale, il n’est pas concurrentiel avec la prison !
7/ « Accentuer le recours au numérique et développer l’intelligence artificielle »
L’objectif n’est pas contestable, mais, comme le ministre y fait lui-même allusion, l’informatique à la justice a généré trop de déceptions et connu trop d’échecs pour que ces proclamations d’intention ne soient pas accueillies avec circonspection…
On se félicitera, au passage, de la volonté affichée d’anonymiser les noms des magistrats et greffiers sur les décisions de justice massivement mises en ligne (« open data »). De même pour celle de défendre et protéger les magistrats contre menaces et attaques (dont, dans un cas particulier récent, il a donné un exemple apprécié).