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L’ESCAMOTAGE DES PEINES : LE SYSTEME PENAL DEVOYE

                L’implication dans le viol et le meurtre d’une adolescente à Nantes d’un homme sorti de prison depuis peu, après une condamnation à 18 ans de réclusion criminelle pour une série de viols, suscite l’incompréhension et l’indignation de nos concitoyens, prompts à mettre en cause –comme toujours en pareil cas-, le fonctionnement de la Justice –en oubliant que ce ne sont pas les magistrats qui font les lois qui permettent ce genre de faits, mais, leurs élus.

                Au-delà des aspects singuliers de ce dossier, sur lesquels il appartiendra aux juridictions, d’instruction et de jugement, compétentes, de se prononcer, il s’agit là, en effet, d’une nouvelle et tragique illustration des aberrations d’un certain modèle qu’on n’ose dire encore vraiment « pénal », qui a érigé en principe l’inexécution des peines.

                Des Diafoirus de la criminologie et des idéologues haineux de l’ordre social et de toutes les formes de manifestation de l’autorité ont réussi, à l’époque contemporaine, à imposer, dans notre ordre juridique, des conceptions ruineuses pour le crédit des sanctions –et, à travers elles, pour les valeurs, normes de conduite et disciplines de vie en société dont elles sont l’expression concrète-, qui les ramènent à une espèce de dramaturgie ponctuelle, pour leur prononcé, qu’on s’empresse aussitôt d’oublier, pour leur application, en les dénaturant (transformation d’une peine d’emprisonnement en une simple peine restrictive de liberté ou de droits…), ou, en en abrégeant le cours (dans des proportions qui peuvent être énormes : dans le cas présent, le condamné n’aura exécuté que les 2/3 de sa peine, et, l’on en voit qui n’en font pas la moitié –sans parler de la mascarade des « perpétuités » qui deviennent, dans les faits, des peines à temps, parfois plus courtes que des vraies peines à temps, mettant ainsi l’échelle des peines « cul par-dessus tête »…).

                Sous prétexte de « réinsertion sociale » et de « traitement », par un dévoiement théorique et pratique qui fait, de manière abusive, simpliste et sophistique, l’amalgame avec le modèle médical, on tend ainsi à évacuer toute la dimension punitive de la sanction –qui a pour première et nécessaire fonction d’exprimer, par son intensité, la gravité d’un acte-, en même temps, s’agissant spécialement de la prison, qu’on néglige l’objectif, aussi légitime que prioritaire, de neutraliser une puissance de nuire, au profit d’une spéculation –par définition, toujours plus ou moins hasardeuse-, sur l’aptitude de l’intéressé à mener une vie normale et à ne pas récidiver, sur la base d’un diagnostic qui n’a rien d’une science exacte et qui, trop souvent, ne fait que récompenser un bon comportement opportuniste et des facultés de dissimulation… Outre qu’il y a, bien évidemment, un monde entre l’attitude et les dispositions présumées de quelqu’un telles qu’on peut les apprécier quand il est enfermé, et, celles qu’il va manifester une fois rendu à la liberté et à lui-même : il est à cet égard, très naïf et contraire à toute l’expérience que de croire que la personnalité des êtres humains est quelque chose de plastique qu’une institution peut modeler à sa guise, et, de cultiver l’illusion de pouvoir toujours éviter que le naturel revienne au galop… -à plus forte raison, quand il s’agit de pulsions sexuelles.

                C’est, en tout cas, un système extrêmement pervers qui introduit la plus grande incertitude et relativité dans l’application effective de la loi pénale : au mépris des exigences fondamentales de la légalité et d’égalité des peines, sensiblement altérées dans les faits même si l’on feint d’en conserver le principe. Et, qui accrédite, tant chez les malfaiteurs que dans l’ensemble de la population, le sentiment que le risque pénal –déjà largement diminué par l’impunité dont bénéficient trop d’auteurs de crimes et délits du fait des limites de l’efficacité policière et, en cas d’identification, des divers modes d’évitement d’une poursuite et d’une condamnation-, est encore réduit par la « loterie » de l’application des peines et les possibilités de « tricherie » qu’elle ouvre…

               C’est un système ainsi criminogène, car il encourage les potentiels délinquants à miser sur leurs chances d’échapper à la pleine rigueur des lois (ce n’est pas un hasard si l’abandon de telles conceptions, aux U.S.A., a coïncidé avec une baisse spectaculaire des statistiques criminelles…) ; et par là, il est aussi puissamment démoralisant pour la masse des citoyens respectueux des lois, à qui il donne un exemple négatif.

                C’est qu’il traduit une philosophie dévoyée et hémiplégique de l’ « individualisation » -dont le Conseil Constitutionnel, dans son imagination débridée et idéologiquement très orientée, est allé jusqu’à faire un principe constitutionnel pour verrouiller toute remise en cause : celle qui va dans le sens unique de l’ « escamotage » de la peine –quand une « individualisation » bien comprise devrait aussi permettre, symétriquement, la prolongation de celle-ci quand c’est justifié, et, spécialement, quand des mesures de sûreté s’imposent : or, c’est, justement, ce que vient, par une décision inconséquente et irresponsable, de refuser le Conseil à l’égard d’une catégorie dangereuse entre toutes pour la paix publique, celle des terroristes !

                On ne peut, de toute évidence, compter sur les actuels responsables des affaires publiques pour arrêter cette machine folle : il est clair, M. Dupont-Moretti en tête, qu’ils se situent dans le droit fil d’une continuité qui est allée de Badinter à Belloubet, en passant par celle qui a incarné la version la plus caricaturale de telles conceptions, Mme Taubira. Combien d’affaires comme celle de Nantes faudra-t-il donc pour qu’un sursaut national contraigne à mettre fin à cette dérive ?

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