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La « chauve-souris » du garde des sceaux

Nicolas Sarkozy en avait rêvé (un rapport avait été commandé en ce sens à l’avocat d’affaires Jean-Michel Darrois –qui en a rejoint bien d’autres dans les greniers de la Chancellerie...), Me Dupond-Moretti est déterminé à le faire : le lawyer à la française ; soit, plus spécialement, l’avocat en entreprise, cette « chauve-souris » du fabuliste qui serait, « en même temps », salarié aux ordres de son patron et dévoué à ses intérêts, et, « en même temps », un ersatz d’avocat bénéficiant des principales protections reconnues à la profession –dont… le secret professionnel.

Dans le même temps, le « garde des siens » concocte un texte de procédure pénale, où, entre deux entraves supplémentaires aux enquêteurs ou nouvelles embûches de procédure aux magistrats, se glissera une extension de ce secret professionnel, en vue de sanctuariser encore plus les cabinets de ses anciens et sans doute futurs confrères… Au premier chef, évidemment (car la vengeance est un plat qui se mange froid –au risque, parfois, de conduire devant la Cour de justice de la République les ministres trop empressés de régler les comptes de l’avocat…), avec l’interdiction de consulter les « fadettes », et, la traduction –sans nul doute aussi extensive que possible-, de la récente et aberrante jurisprudence de la Cour de justice européenne qui entend priver très largement les enquêteurs, d’une manière générale, des moyens de recourir au contrôle des communications… Que du bonheur, donc, pour les malfrats et ceux qui, derrière le paravent de leur noble robe, trahissant leur serment et la confiance des magistrats, s’en font les auxiliaires zélés !

Au-delà du ridicule de cette fascination désuète pour l’Amérique –dans la ligne d’une solide et séculaire tradition de masochisme national dans une partie des classes dirigeantes, qui connaît, ces dernières années, un regain avec les chantres de la « start up nation »-, et, de la naïveté de cette prétention qui s’imagine que l’on peut, d’un claquement de doigt du législateur, implanter artificiellement des normes et des institutions qui sont le fruit de toute une histoire et de tout un contexte socio-culturel, étrangers à notre pays, on est manifestement en présence d’une entreprise –qui n’est sans doute pas de génération spontanée…-, visant à soustraire au maximum le monde économique au contrôle de la justice : avocat, le lawyer à la française pourra ainsi opposer –avec tous les nouveaux moyens donnés à ses confrères du Palais-, le secret sur les conseils qu’il aura lui-même dispensés aux dirigeants qui l’emploient pour jouer avec le droit –ou s’en jouer-, et son bureau deviendra aussi protégé qu’un cabinet d’avocat des curiosités extérieures, ce qui ne laissera pas d’être fort commode… : on imagine combien d’affaires –et, notamment, de corruption-, eussent été compromises avec de telles dispositions !

Dans un pays hébété par la crise sanitaire, où l’opinion et la classe politique et médiatique ont l’œil rivé sur la courbe des contaminations ou des vaccinations, le sujet n’a, certes, pas de quoi mobiliser beaucoup de monde –et, de plus, le Barreau est un groupe de pression influent au Parlement, avec des relais efficace dans les médias ; pour autant, les plus lucides et honnêtes de ses membres devraient réaliser le piège qui leur est tendu : car, c’est une dénaturation complète de leur profession qu’il cache, avec un risque majeur pour le respect des exigences déontologiques qui, sont la contrepartie nécessaire et légitime des garanties et privilèges statutaires qui leur sont concédés, et, dont l’altération dégradera leur image, ouvrant dès lors une porte à la remise en cause de ces garanties et privilèges –cette « chauve-souris » est un vrai virus pour la profession (on n’est jamais trahi que par les siens…).

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