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SUR LA REPRESSION DES VIOLENCES SEXUELLES SUR MINEUR

La honteuse « affaire Duhamel », en dehors des réflexions d’ordre moral ou sociologique qu’elle peut appeler, a rouvert le débat récurrent sur la répression spécifique des agressions sexuelles sur les mineurs ; deux sortes de questions sont, en particulier soulevées :

                1°) La question de la prescription :

                               Des associations plaident pour une imprescriptibilité… ; il faut fermement s’y opposer :

                               * Le droit en vigueur :

                               Rappel des règles, en droit commun, pour la prescription de la poursuite (à ne pas confondre avec celle des peines prononcées, prévue aux articles 133-2 et suivants du code pénal), fixées par l’article 7 du code de procédure pénale : à compter du jour de commission de l’infraction, 20 ans pour les crimes, 6 ans pour les délits, un an pour les contraventions.

                               Les exceptions, pour les crimes :

                                              . 30 ans pour divers crimes particulièrement graves (terrorisme, stupéfiants, association de malfaiteurs, armes de destruction massive, eugénisme et clonage reproductif, disparitions forcées, crimes de guerre) ;

                                              . 30 ans, mais, à compter de la majorité, soit, jusqu’à l’âge de 48 ans, pour divers crimes (homicide, violences, viol) commis sur un mineur (ce qui peut, le cas échéant, représenter, par rapport à la date des faits, plus de 40 ans…), depuis la loi du 3 août 2018, dite « Schiappa »

                                              . Imprescriptibilité pour les crimes contre l’humanité.

                              Les exceptions, pour les délits : 10 ans pour une liste de délits commis sur mineur (violences, atteinte sexuelle, pornographie, prostitution, débauche etc.) ; 20 ans pour certains autres délits plus graves sur mineur (violences de plus de 8 jours d’incapacité, agression sexuelle, atteinte sexuelle) ; 20 ans pour certains délits particulièrement graves (terrorisme, crimes de guerre).

                               * Commentaire :

                               Il en résulte que la répression des violences sexuelles sur mineurs se situe, pour ce qui est des délais d’exercice de l’action publique, déjà au niveau le plus élevé, juste en-dessous du crime contre l’humanité, à côté (voire même… au-dessus, si l’on tient compte du point de départ à l’âge de la majorité dans certains cas) de crimes gravissimes, comportant mort, torture, mutilation, parfois commis sur une grande échelle…

                               Or le droit doit conserver un minimum de cohérence : les différences, dans les conditions, de forme et de fond, de la répression, doivent refléter une hiérarchie de valeurs, en fonction de la gravité du comportement visé ; mettre sur le même plan, par exemple, le génocide et une violence sexuelle, si détestable soit-elle, serait inacceptable : ce serait nier toute mise en perspective, et, symboliquement, minimiser la gravité du génocide (une forme de « négationnisme » sournois, en somme…).

                               On ne répètera jamais assez qu’on ne doit pas légiférer sous la tyrannie de l’émotionnel et du circonstanciel : « un fait divers, une loi », c’était la détestable pratique de Sarkozy -et Macron n’est pas en reste… C’est une posture de communiquant, pas une attitude d’homme d’Etat.

                               Des raisons plus pragmatiques conduisent aussi à refuser une telle imprescriptibilité : dépérissement des preuves, altération des témoignages (quand on peut encore en avoir…) etc. –alors que ces questions se posent avec acuité, déjà, avec d’aussi longs délais de prescription que ceux actuels. Et, si une personne, pour de bonnes ou de mauvaises raisons –mais, qui sont les siennes, respectables dans un domaine qui touche autant à l’intime-, n’a pas voulu agir avant ses 48 ans (et, pas seulement, par suite d’une éventuelle « amnésie traumatique », trop facilement invoquée par les militants de la cause… : si, en 30 ans et plus, elle n’a pas été surmontée, une « rallonge » de quelques dizaines d’années potentielles n’a plus grand sens…), peut-on lui imposer ce « déballage », avec la violence qu’il peut représenter, psychologique, familiale, sociale…?

                               D’une manière générale, la prescription est une supériorité des droits romano-germaniques : y renoncer, comme certains le voudraient, serait une régression, et, une renonciation à une partie de notre identité juridique, composante de notre identité nationale.        

                          2°) La question de l’âge du consentement :

                               Deux propositions de loi viendront bientôt en débat à cet égard : au Sénat, celle de Mme Billon, centriste, qui sanctionne toute pénétration sexuelle d’un mineur de 13 ans par un majeur lorsque ce dernier connaissait l’âge de la victime ou ne pouvait l’ignorer ; à l’Assemblée nationale, celle de Mme Santiago, socialiste, qui prévoit, notamment, un seuil de 18 ans pour les relations entre un mineur et son ascendant, et, pour les atteintes sexuelles ou viol sur mineur de 15 ans, exclut toute référence au consentement dans la définition de l’infraction, en prétendant ainsi… instituer une présomption de non-consentement (dont elle affirme qu’en dépit de la rédaction de sa proposition, elle ne serait pas irréfragable…).

                               Cette question, certes sensible, est trop souvent obscurcie par l’ignorance, la passion idéologique ou une démagogie émotionnelle facile, sur la toile de fond, parfois, d’un néo-féminisme dévoyé pour qui tout mâle (blanc, surtout) est un violeur en puissance, sinon « systémique »… –et sans souci, à l’occasion, du principe de non-contradiction…

                               La définition du viol (article 222-23 du code pénal) vise tout acte de pénétration sexuelle « commis par violence, contrainte, menace ou surprise » : le viol, c’est donc, d’abord, le viol du sentiment et de la volonté avant d’être celui du corps ; il est donc non seulement légitime, mais nécessaire que les juridictions, face à une accusation, s’interrogent sur la réalité et l’intensité du consentement de la victime (une relation sexuelle acceptée, quelles que puissent être, le cas échéant, les ambiguïtés de cette acceptation dans le tréfonds d’une conscience, ne peut, évidemment pas, ni pour le droit ni pour le bon sens, être un « viol »).

                               La question est donc de savoir si, comme certains le soutiennent et comme ces propositions voudraient l’inscrire dans le marbre des lois, un mineur devrait être tenu pour incapable de jamais donner un tel consentement ; et, question subsidiaire, jusqu’à quel âge, alors,il en serait incapable.

                               1ère observation : on pourrait souligner le paradoxe de ces interrogations dans une société post-soixante-huitarde, qui avait érigé la liberté sexuelle en une sorte d’absolu, et, exalté l’autonomie de la jeunesse, dans laquelle les jeunes ont couramment des relations sexuelles précoces, et, bien avant, pour nombre d’entre eux, avant leurs 18 ans ou leurs 15 ans –voire moins, si affinités… Et où, il n’y a pas si longtemps, entre mille exemples, on portait aux nues, dans cette caste d’influence culturelle, mondaine et sociale dont Olivier Duhamel et consorts sont des figures si emblématiques, le film de Louis Malle « Le souffle au cœur », et, où l’on vénère la mémoire de Serge Gainsbourg, qu’on a vu, dans un clip, à moitié nu sur un lit en compagnie de sa très jeune fille, susurrant « Lemon incest » et ses jeux de mots à double sens…

                               2ème observation : si l’on condamne toute relation sexuelle entre un adulte et un mineur –au moins jusqu’à 15 ans-, comment admettre, alors, qu’on puisse encore le tolérer entre deux mineurs en-dessous de l’âge limite, comme c’est le droit présent –qui admet donc bien, implicitement, qu’ils peuvent donner un consentement valable…?! Comment et pourquoi ce qui est légal entre mineurs deviendrait, en revanche, illégal entre majeurs et mineurs ?... Il faut être un minimum cohérent ! Et, d’autant plus qu’une mineure peut, par exemple, sans l’autorisation de ses parents, se faire prescrire une pilule dont elle sait fort bien que ce n’est pas un simple bonbon…

                               3ème observation : Alain Finkielkraut a été chassé de LCI comme un malpropre pour avoir, au sujet du consentement, émis l’idée qu’un « enfant » et un « adolescent », ce n’était pas tout à fait la même chose ; or, c’est très exactement cette différence que font les propositions qui distinguent le mineur de 13 ans –qui serait présumé incapable de jamais donner un consentement valable-, et, les autres mineurs plus âgés…

                               4ème observation : on a monté en épingle de –fort rares-, décisions de justice (même pas définitives !) qui ont retenu un consentement avant 13 ans : si cela pouvait, le cas échéant, se discuter, c’était de la responsabilité des juridictions d’apprécier les éléments de fait et les circonstances –à charge d’appel et de cassation pour la partie qui entendait le contester, comme le veut la règle du jeu ; on ne change pas les lois parce qu’une décision de justice a pu faire polémique (c’est toujours la détestable pratique du « zapping » législatif : « un fait divers, une loi »…).

                                5ème observation : le seuil de 13 ans paraît –avec l’arbitraire inévitable qui s’attache à cette sorte de seuil, eu égard à la très grande variété des situations et des personnes-, effectivement raisonnable, et, correspondre à une étape du développement physique et psychologique du jeune, mais, on aurait tort de poser une règle trop rigide, comme le voudraient ces propositions  ; c’est ainsi que, s’agissant du code de la justice pénale des mineurs, où se posait de manière tout à fait semblable la question de l’âge du discernement, on avait approuvé le projet, qui prévoyait une présomption de non-discernement en-dessous de 13 ans, mais, dont le juge pouvait, si cela semblait justifié, s’écarter (et, symétriquement, au-dessus de 13 ans, pour celle de discernement). Il convient donc d’adopter une solution analogue ; c’est une question d’élémentaire cohérence normative : si l’on est présumé capable de discernement pour la commission d’une infraction, on doit aussi l’être, à plus forte raison, en parallèle, pour le consentement à ne pas être victime d’une infraction.

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