Par plusieurs arrêts du 22 décembre dernier, statuant au fond et non plus comme cela a été surtout le cas jusqu’ici, le Conseil d’Etat s’est prononcé sur divers recours dirigés contre des mesures adoptées par les pouvoirs publics depuis le début de la « crise sanitaire ».
Sans surprise, il les rejette pratiquement tous : de fait, on l’imaginait mal mettant à bas des pans entiers de ce nouvel « ordre public sanitaire », bien en place depuis près d’un an et qui entend se maintenir, et, dès qu’il s’agit d’apprécier la nécessité et la proportionnalité des mesures, il se réfugie derrière la référence à la pandémie, censée évacuer tout débat…
A noter, toutefois :
1°) Au détour d’une motivation (n° 439996 M. A…), il affirme que les modèles d’attestations dérogatoires de déplacement… n’étaient pas obligatoires ! En outre, dans une autre décision (n° 439956 M. A…), il précise que « l'obligation, pour les personnes souhaitant bénéficier des exceptions à l'interdiction de sortir, de se munir d'un document leur permettant de justifier que leur déplacement entrait bien dans le champ de ces exceptions ne prévoit aucun formalisme particulier, de sorte que tout document apportant des justifications équivalentes peut être produit à cette fin ». On doit en déduire que la preuve de la régularité du déplacement pouvait être faite par d’autres moyens, et, par conséquent, que l’on ne pouvait infliger une amende à quelqu’un au seul motif de l’absence de présentation d’une telle attestation : or, sur les quelque 2,9 millions de procès-verbaux qui auraient été dressés, la plupart, sans doute, l‘ont été sur ce seul motif… Ce qui les invalide rétroactivement.
2°) Il censure (n° 439804 Mmes A… et autres, mentionné au J.O. du 10/01/2020) –c’est le seul cas, mais, sans grande portée pratique-, la disposition qui imposait la mise en bière immédiate et sans soins mortuaires de la personne décédée de la Covid ou suspectée de l’être (dernier alinéa de l’article 1er du décret du 1er avril 2020, annulé), ce qui privait les proches d’un dernier contact ; elle lui apparaît comme «une atteinte manifestement disproportionnée par rapport au droit à une vie privée et familiale normale » : sans mésestimer la gravité de cette frustration, on peut, dès lors, tout de même se demander pourquoi il raisonne différemment quand il s’agit de bien d’autres mesures, d’une gravité psychologique, matérielle, morale ou économique au moins aussi élevée, imposées indifféremment et indistinctement, sans considération de la variété des situations !
Mais, c’est sa motivation (entre autres n° 439804 précité) sur la compétence des pouvoirs publics, à l’origine, qui est la plus discutable : comme, en effet, dès les premiers jours, l’A.P.M. l’avait dénoncé (Cf. son communiqué « Le confinement du droit » sur son site : http://nouvelleapm.fr/actualites/tribune/item/153-confinement-du-droit), le fondement juridique des premières mesures était plus que fragile : outre une référence –proprement loufoque-, au code civil, pour faire bon poids, l’assise en était un article L 3131-1 du code de la santé publique, qui, en cas de menace sanitaire grave, donne au ministre de la santé le pouvoir de prendre, par simple arrêté, des mesures appropriées ; or, il est bien évident que ce dernier texte ne permet pas de porter atteinte aux libertés publiques fondamentales, qui relèvent de la seule loi (article 34 de la Constitution) –c’est bien parce qu’il était conscient de la difficulté que le Gouvernement s’était empressé de faire voter la loi sur l’état d’urgence sanitaire.
Le Conseil valide néanmoins l’assise initiale de ces premières mesures –alors qu’elles étaient, à l’évidence, inconstitutionnelles-, en évoquant cet article L 3131-1, mais, conscient, sans doute lui aussi, de la faiblesse de l’argument, en y ajoutant une référence singulière… aux « pouvoirs propres » du Premier ministre lui permettant « d’édicter des mesures de police applicables à l’ensemble du territoire, en particulier en cas d’épidémie » !
Il se garde bien de viser un texte quelconque fondant ces « pouvoirs propres »… et pour cause : il n’y en a pas !
Si l’on suit le Conseil, le Premier ministre aurait donc, sans que la Constitution l’eût expressément prévu –il n’est que de lire son article 21-, des pouvoirs, somme toute, analogues à ceux du Président de la République lui-même, mais, sans même les garde-fous et conditions imposées à ce dernier par l’article 16 de la Constitution… Même s’il concède que les atteintes aux libertés portées à ce titre doivent être nécessaires, proportionnées et adaptées à leur objectif : c’est bien le moins…
Si l’on se souvient que l’expression « Etat de droit », si couramment invoquée de nos jours, souvent à tort et à travers, vient de la doctrine de droit public allemand du 19e siècle, qui opposait, quant aux pouvoirs de police, la situation où ces derniers étaient prévus et régulés par un texte supérieur (« Etat de droit »), et, celle où ce n’était pas le cas (« Etat de police »), force est d’en déduire que, pour le Conseil, nous ne sommes pas (ou plus) en « Etat de droit », mais, en « Etat de police »…
Ce virus est, décidément, aussi, un virus pour le droit.