Le Conseil constitutionnel n’allait tout de même pas manquer une nouvelle occasion de se couvrir de ridicule.
Certes, il n’est quand même pas allé jusqu’à déclarer expressément inconstitutionnelle l’absence, dans nos lois, d’une disposition permettant la « réhabilitation » judiciaire d’un coupable de crime condamné à mort et exécuté ; mais il appelle le législateur à « instituer une procédure judiciaire, ouverte aux ayants droit d'une personne condamnée à la peine de mort dont la peine a été exécutée, tendant au rétablissement de son honneur à raison des gages d'amendement qu'elle a pu fournir. »
Une fois de plus, il sort ainsi de son rôle et excède ses pouvoirs, en s’arrogeant ainsi le droit de faire des injonctions, même sur le mode implicite, au Parlement.
Nul doute que l’on va se bousculer, au sein de ce dernier –si la garde des sceaux n’en prend pas elle-même l’initiative pour tenter de redorer auprès de la presse du cœur une image publique bien altérée-, pour déposer une proposition de loi, qui ne manquera pas d’être votée dans une touchante unanimité, avec force démonstrations lacrymales, et, qu’on appellera donc « la loi Fesch », du nom de ce fils de famille dévoyé, meurtrier, après un vol à main armée, d’un jeune gardien de la paix (veuf, il laissait une orpheline de deux ans, dont le destin, bien entendu, lui, n’intéresse plus personne…).
Que Jacques Fesch ait eu une fin édifiante, c’est, humainement, satisfaisant, et, c’est la meilleure illustration de l’argument avancé par certains –comme le R.P. Raymond-Léopold Bruckberger, grand résistant et qui avait connu de près les geôles, en son temps-, en faveur de la peine de mort : permettre à l’homme déchu, confronté ainsi à l’échéance suprême, de faire retour sur lui-même et se relever moralement. C’est là une belle réussite dont la justice peut se targuer.
Pour autant, cela n’enlève strictement rien, ni à l’horreur du crime, ni à la pleine justification de sa sanction : parler d’un « honneur » à « rétablir » à raison (sic) des « gages d’amendement » est parfaitement grotesque ; c’est vouloir effacer la peine et désavouer ceux qui l’ont, en stricte application du droit en vigueur, prononcée (et, au passage, celui qui a été l’ultime responsable de l’exécution, le Président de la République d’alors, qui, en n’exerçant pas son droit de grâce, n’aurait pas tenu compte de tels « gages d’amendement »…).
Le motiver, qui plus est, par l’interdiction de la peine de mort introduite maintenant dans la Constitution, mérite le bonnet d’âne et signe l’indigence de l’argumentation : aucune norme n’interdisait cette peine à l’époque ni n’imposait de prendre en compte les « gages d’amendement » apparus –miracle de la peine-, entre la condamnation et son exécution ; on en déduit donc que, pour le Conseil, une disposition de la Constitution de 1958 –de plus, très tardive, puisqu’introduite seulement en 2007-, a vocation à s’imposer à une décision prononcée… en 1957, sous l’empire d’une autre Constitution ! Avec sa décision dans l’ « affaire Grégory », le Conseil reprochait déjà aux magistrats de n’avoir pas anticipé l’état du droit créé une trentaine d’années plus tard, là, -encore plus fort-, on aurait dû, en somme, pour lui, dès 1957, tenir compte des conséquences d’une révision intervenue un demi-siècle plus tard…
Par définition, en bon droit et en bonne langue, la réhabilitation est faite pour récompenser celui qui, après l’exécution de sa peine, a su se rendre digne de nouveau de la confiance de la société par un comportement exemplaire et des gages effectifs et concrets de réinsertion : l’appliquer à un condamné à mort exécuté est un pur non-sens et une provocation idéologique de la part de ceux qui, ouvertement ou en leur for intérieur, récusent l’idée même de la responsabilité pénale et voudraient réduire la sanction à sa seule dimension psychologique (qui peut, d’ailleurs, assurer que, sorti du contexte de la mort encourue, l’intéressé, après sortie de prison, eût témoigné d’aussi heureuses dispositions ?! L’administration pénitentiaire regorge de gens qui jurent, souvent très sincèrement, de leur volonté de changer de vie : belles intentions et vœux pieux sitôt envolés, une fois franchie la porte de l’établissement…).
C’est pourquoi, il est incompréhensible que la question ait pu même être simplement posée au Conseil par la Cour de Cassation.
Avec une telle loi, on ouvrirait, au demeurant, une boîte de Pandore : en voulant traiter un seul cas particulier –comme si la loi était faite pour cela !-, on permettra, par exemple, à tous les descendants de condamnés à mort pour motif politique –et, depuis 1789, il n’en a pas manqué…-, de réclamer une telle « réhabilitation ». Et, si tous les condamnés de droit commun n’ont pas eu la chance d’avoir eu autant de médias complaisants ou d’avocats vedettes pour exalter leur fin, on devrait pouvoir en trouver un certain nombre qui, parce qu’ils auront exprimé un repentir, sincère ou pas, et fait leurs dévotions, pourront aussi prétendre, par la voie de leurs descendants, retrouver leur « honneur »…
Libre à l’Eglise, si elle le juge bon, de porter Jacques Fesch sur ses autels –ce ne serait, d’ailleurs, pas le premier « bon larron »-, mais le droit (surtout dans un Etat constitutionnellement laïque…) n’a rien à voir là-dedans et n’a pas à se mettre à la remorque d’une procédure en béatification… (il est vrai que celle-ci peut, avec cette décision du Cons. Cons. revendiquer un premier « miracle »…).
L’histoire (ou la légende) rapporte qu’un monarque ibérique fit déterrer son épouse secrète, tuée sur l’ordre de son père, pour, en guise de « réhabilitation », l’asseoir sur le trône et obliger les courtisans à se prosterner : va-t-on, avec une telle « loi Fesch », procéder demain à l’exhumation « réhabilitante » –symbolique et juridique-, de cadavres supposés en odeur de sainteté ?...